Jan Van den Bon
Interview
Jan Van den Bon: “Il nous faut combiner la finesse de la création avec le dur labeur de la cuisine”
L’équilibre. Voilà l’objectif que Jan Van den Bon essaye d’atteindre en permanence. L’équilibre des saveurs au sein de l’assiette, l’équilibre dans l’ambiance qui règne dans la belle maison bourgeoise qui abrite son restaurant. Mais aussi l’équilibre entre le travail et la détente. Entre sa cuisine et son jardin.
Vous n’avez pas suivi de formation Horeca. Comment êtes-vous devenu cuisinier?
Jan Van den Bon: “J’ai suivi mon intuition. Tous les membres de ma famille étaient des “intellectuels” (rires) qui poursuivaient des études universitaires et il me semblait évident que c ‘est la voie que j’allais emprunter. J’ai bien commencé l’”univ” mais je me suis rapidement rendu compte que ce n’était pas mon truc. Je suis incapable de rester plus d’une heure assis dans un bureau. J’ai besoin d’action. Dés le moment que j’ai compris cela et que je me suis mis à travailler, je suis immédiatement devenu un autre homme.
Pourquoi vous-êtes vous orienté vers la cuisine?
“Ma mère était un authentique “cordon bleu”. Nous mangions tous les jours de manière remarquablement délicieuse, au cours de repas chauds servis aussi bien le midi que le soir. C’est là que j’ai, sans aucun doute, recueilli les prémices de ma vocation. C’est dès l’enfance que j’ai découvert une large de palette de saveur et la manière de les combiner...”
Vous avez fait vos premier pas chez le légendaire Willy Slawinski…
“C’était quelqu’un qui était véritablement habité par la passion de son métier et il avait rapidement compris que c’était également mon cas. Il n’en avait absolument rien à faire de ce que je fus ou non porteur d’un diplôme de cuisinier. Il est évident qu’il faut avoir un certain talent pour pratiquer la cuisine mais le plus important c’est certainement la passion car, sans celle-ci, il est impossible d’exercer ce métier à long terme. Il est nettement préférable d’engager en cuisine quelqu’un sans formation mais qui dispose de la volonté et du goût d’apprendre plutôt que quelqu’un qui connaît le métier mais qui n’éprouve pas de passion pour celui-ci..”
L’étape suivante vous a amené chez Bernard Loiseau, une personnalité illustre.
“Assurément, mais surtout, à mes yeux, le chef qui m’a procuré le plus d’inspiration. C’était l’homme de la “cuisine à l’eau”. Cette eau qu’il utilisait à la place du vin ou de la crème pour élaborer ses sauces. Il tentait d’exprimer autant de goût que possible des viandes et des légumes en les laissant cuire très lentement et joliment caraméliser. Cette méthode permettait d’obtenir des jus aussi légers que savoureux.”
Vous avez eu d’autres maîtres?
“Non, pas vraiment. Après Loiseau, je suis allé à Paris, chez Alain Dutournier. Son restaurant existe toujours, c’est le “Carré des Feuillants”, qui jouit de deux étoiles au Michelin. Dutournier est un chef nettement plus classique, qui travaille avec du beurre et de la crème. Ce qui n’est absolument ma tasse de thé. Attention: ses préparations de viande et de de poisson était bien abouties, avec de profondes saveurs. On y travaillait le cassoulet, les confits, toute cette gamme de plats traditionnels. Ce n’était pas du tout mon style mais ce passage était bien complémentaire après la cuisine épurée et tout en légèreté de Bernard Loiseau.”
C’est en 1986 que vous vous êtes lancé dans l’aventure de votre propre restaurant, en vous installant dans une belle maison bourgeoise du parc de la Citadelle..
“C’est le démarrage de ma propre maison qui a véritablement signifié le début de ma carrière. C’est là que je suis devenu véritablement créatif. Je bénéficiais enfin de la liberté d’imaginer et de faire ce que je voulais. Ceci sans un chef au dessus de moi qui me disait ce que je pouvais faire.”
Comment élaborez-vous une nouvelle carte?
“Il s’agit d’un processus très complexe. Cela ne s’improvise pas en restant deux heures assis à un bureau. Dans ma cuisine, je dispose toujours d’un carnet de note sur lequel j’écris toutes les idées qui me viennent lorsque je suis en train de travailler. L’inspiration peut provenir des ingrédients eux-mêmes, de certaines de mes lectures ou encore arriver ainsi, sans que l’on sache vraiment comment… Après deux mois, je m’isole alors durant un petit weekend avec mes notes.
Certaines idées semblent alors complètement inintéressantes, d’autres par contre méritent que je m’y attarde. Et c’est ainsi que, très progressivement, j’arrive à une nouvelle série de suggestions. Suit alors une phase de mises à l’essai. Avec l’âge et l’expérience, les chances d’imaginer quelque chose qui se révèle directement réussi sont de plus en plus grandes. Mais ce n’est pas toujours le cas. C’est un peu comme une femme qui voit une jupe dans une vitrine et s’imagine qu’elle va lui aller parfaitement. Ce qui n’est pas nécessairement évident quand elle l’essaye sur elle….”
Comme définiriez-vous votre style personnel?
“Je n’aime pas ce genre d’expression. Quand on lit quelque part qu’untel pratique “une cuisine épurée sur base de produits frais” que sait-on de plus? Il faut d’abord goûter une cuisine. Mais si je devais tout résumer en un qualificatif, je dirais: “savoureux”. »
“Chez moi, tout doit être cohérent. Chaque saveur doit être exacte. J’essaye de donner à chaque produit qui se trouve sur l’assiette un sens gustatif. Ce qui n’a pas de goût n’a pas sa place dans la préparation. Ainsi je n’emploie pour ainsi dire jamais de fleurs. A mes yeux, la place de celles-ci est au jardin ou dans un vase mais pas sur une assiette. Un pétale de rose est comestible et présente un certain goût mais pas suffisant.”
De chef à jardinier... Pour vous, il ne s’agit littéralement que d’un tout petit pas… .
“Je n’ai qu’à sortir de ma cuisine et je suis dans mon jardin. La cuisine est mon métier et constitue certainement la première de mes passions mais c’est également une occupation qui rend légèrement autiste à force de trimer durant des heures et des heures.
Mon jardin me sert de contrepoison. Entre les services, je me permets une petite escapade d’une demi heure au jardin, par exemple pour dégager quelques mauvaises herbes. Cela me repose et me permet de recharger mes batteries. “
Comment voyez-vous le rôle d’un maître cuisinier?
“La cuisine est métier très lourd. Il faut être affecté d’un “grain” certain pour devenir chef! (Rires) Plus sérieusement, j’éprouve un respect énorme pour l’ensemble de mes pairs. Il nous faut combiner la finesse de la création avec le dur labeur de la cuisine. Je crois néanmoins que l’on ne nous place trop souvent sur un piédestal. Cette forme de culte des cuisiniers a commencé avec Bocuse et je pense qu’aujourd’hui les choses vont un peu trop loin.
Alors qu’en définitive nous ne sommes rien de plus –mais rien de moins - que des artisans, avec tout ce que l’on retrouve dans la partie “art” du mot. »
Quel sont les produits que vous préférez travailler?
“Je suis un adepte de la “cuisine du terroir’. Il m’arrive de faire appel à des fruits exotiques pour certains desserts mais je ne crois pas qu’il existe beaucoup de choses qui soient meilleures que de bonnes poires, de bonnes pommes ou de bonnes cerises. La Flandre est une des régions de la planète les plus riches qui soient en variétés de fruits. Et c’est la même chose pour les légumes, grâce à des terres extrêmement fertiles et l’abondance des pluies. Pourquoi irions-nous chercher de l’autre côté la planète ce dont nous disposons à nos pieds?
Comment vous positionnez-vous face aux nouveaux appareils que l’on trouve dans les cuisines?
“Ces engins ne sont pas nouveaux. Ainsi cela fait près de quarante ans qu’existe le Thermomix. Il gagne pour l’instant en popularité à travers une vaste campagne de marketing, le genre d’opération pour lesquelles les chefs servent de véritables vaches à lait.
La seule chose qui importe dans la cuisine d’un chef, c’est sa créativité, son travail. Certains appareils peuvent présenter une utilité certaine mais ils n’améliorent pas sensiblement la cuisine par eux-mêmes. Cuisiner, c’est générer des saveurs. Les appareils peuvent aider à rendre une assiette mais ne donnent pas de goût aux produits. La seule manière d’arriver à ce résultat, c’est de cuisiner! Et pour cela, il faut un minimum de “feeling”.
Comment voyez-vous l’avenir?
“Encore travailler très longtemps! (Rires) Essentiellement parce que j’aime cela. Imaginez que j’arrête d’ici quelques années… Que pourrais-je alors faire? Rouler à vélo tous les jours devient rapidement ennuyeux. Mon père était médecin. Il a arrêté de travailler à 74 ans. Et il l’a longtemps regretté.
Je crois que le plus important, c’est de trouver un équilibre entre son travail et ses loisirs. C’est ce qui permet de structurer sa vie. Si on arrête tout subitement, on perd alors également le stress positif.
Nous avons été ouverts six jours sur sept durant 26 ans. Depuis l’année dernière, nous fermons le lundi et cela constitue une respiration certaine. Et j’espère d’ici peu fermer encore un jour de plus, afin de pouvoir disposer de trois jours libres par semaine. Et, peut-être, pour mon 65ième anniversaire, ajouterais encore un jour. Mais arrêter complètement, il n’en est pas question. Pourquoi le ferais-je?
J’ai la chance d’habiter et de travailler dans une belle ville, une belle maison et un beau jardin. J’exerce un travail que j’aime. Je n’ai besoin de rien d’autre.”