Quatre décennies de présidents…

Au cours des quarante dernières années, six président se sont succédé à la barre des Mastercooks. Après feu le baron Pierre Romeyer, ce fut successivement au tour de Pierrot Fonteyne, Guy Van Cauteren, Alain Deluc, Robert Van Duüren et Frank Fol, de guider le navire. Tous ont marqué l’association du sceau de leur personnalité. Nous les avons rencontrés à la Réserve, à Knokke, commune où certains d’entre eux jouissent paisiblement d’une retraite bien méritée. 

Le petit entresoi bruxellois de topchefs qui avait été rassemblés en 1980 par Pierre Romeyer a évoluée au cours des décennies suivantes vers une association répandue dans tout le pays. Chaque président successif a apporté ses propres accents, sachant que, pour tous, l’ouverture et une implication des membres plus importante ont toujours constitué une priorité. 
 

 

 

Voorzitters The Mastercooks

Pierrot Fonteyne

Pierrot Fonteyne, à l’époque chef du restaurant Breughel à Damme, eut la tâche ingrate de reprendre le flambeau de l’association à Pierre Romeyer qui l’avait brandi durant 8 ans. Pierrot: “Ce n’était en effet pas une mince affaire… Romeyer était pétri du caractère élitiste du groupe. Il voulait limiter les effectifs à quelques chefs étoilés ou bénéficiant d’une grande réputation. En outre, à l’époque, l’association était aussi connotée comme très francophone.  Petit à petit, j’ai amorcé le changement. Comme l’admission d’un plus grand nombre de chefs néerlandophones au sein du comité, dans lequel j’ai instillé un rajeunissement ainsi qu’un meilleur équilibre linguistique. Quand j’évoque des jeunes chefs, je veux parler de cuisiniers qui ont tout de même plus de 35 ans et qui connaissent leur métier sur le bout des doigts. Je pense à des chefs comme Jan Buytaert (De Bellefleur à Kapellen) et Claude Debeyter (Shamrock à Maarkedal). Jusque-là, c’était surtout des anciens qui étaient actifs au sein du comité. Nous avions à l’époque déjà notre guide annuel, qui était distribué à 20.000 exemplaires. J’ai aussi créé la notion d’ambassadeurs de la cuisine belge en nommant à ce titre des Maîtres Cuisiniers réputés qui travaillaient à l’étranger. Il s’agissait alors principalement de chefs qui travaillait dans les ambassades"

 

“Plus de jeunes chefs néerlandophones au sein de l’association ont asssuré à celle-ci un rajeunissement et un meilleur équilibre linguistique”.

Pierrot Fonteyne

 

A l’époque où Pierrot Fonteyne s’est installé à Damme, la cuisine classique était encore très en vogue. « Mais nous étions jeunes et nous voulions faire bouger les hoses, ce qui n’était pas du goût de tout le monde. C’est ainsi que j’ai mis la “barbue aux chicons” à ma carte. J’ai tout de suite fait l’objet de critiques de restaurateurs fâchés de ce que j’utilisais le nom barbue alors qu’eux-mêmes servaient le même poisson, de la famille du turbot sous ce même nom, au mieux sous le nom de turbotin, et faisaient beaucoup d’argent avec cela. C’était presque scandaleux de mettre de la barbue au menu, alors qu’aujourd’hui on en trouve un peu partout à la carte, avec d’autres poissons meilleur marché comme la sole limande ou la solette. A l’époque, la barbue aux chicons était une préparation audacieuse même si, aujourd’hui, les chefs vont bien plus loin dans la création. Mais nous étions encore relativement sages et nous ne voulions pas trop effrayer nos clients en nous montrant trop progressistes. » 
Comment voit-il l’avenir des Mastercooks ? “Frank Fol a accompli un excellent travail. Il est un créateur, un rénovateur, il plaide pour une cuisine de vérité.  J’espère que son successeur empruntera le même chemin. Qu’il ne proposera pas les actuels changement qui se déroulent dans la cuisine, sans aucune base. C’est de cela dont j’ai un peu peur Mais j’ai tout de même confiance. Quelqu’un de doté d’un bon palais fera toujours la différence.”
 

 

 

Pierrot Fonteyne

Guy Van Cauteren

Pierrot Fonteyne était président de l’association depuis près de dix ans quand il a transmis son titre en 1998 à Guy Van Cauteren, à l’époque chef du Laurierblad à Berlare. “J’ai poursuivi le travail de Pierrot en poussant encore la démocratisation de la structure et l’équilibre linguistique de celle-ci. Je partais du principe que tout le monde devait maîtriser les deux langues et que chacun s’exprimait dans la sienne.  Mais pour satisfaire tout le monde, j’organisais chaque année, au-delà des réunions mensuelles, deux réunions en néerlandais à l’ISPC de Gand et deux en français à l’ISPC de Liège. Là, les membres qui maîtrisaient moins bien l’autre langue nationale, avaient la possibilité de s’exprimer dans la leur, ce qui leur permettait de s’exprimer beaucoup plus librement. J’ai aussi assuré plus de transparence en faisant réaliser un rapport après chaque réunion et en communiquant ensuite celui-ci à tous les membres. Aujourd’hui, le problème est résolu grâce à l’existence d’une “newsletter” mais à l’époque, les comptes-rendus restaient beaucoup plus internes. 
Les réunions mensuelles se déroulaient dans le cadre prestigieux de l’hôtel de ville de Bruxelles. Ceci s’était passé de la manière suivante : le cousin du bourgmestre de l’époque, Freddy Thielemans, nous avait à la bonne et nous avait offert un bureau. S’engager en tant que président en étant en même temps à la tête d’un restaurant qui tourne bien n’était pas évident. Voilà pourquoi je n’ai assumé qu’un seul mandat d’un an. C’était un fameux défi de réunir tous ces chefs individualistes autour de la même solidarité et des mêmes idées. Mais il y a toujours eu de grands échanges, tant en bien qu’en mal."
 

“Ce fut un grand défi que de rassembler tous ces chefs individualistes autour des mêmes solidarités et idées ”.

Guy Vancauteren

 

Durant sa présidence, Guy Van Cauteren va lentement modifier le paysage social du secteur. «Au niveau de la mentalité de travail, nous étions encore dans les années vingt du vingtième siècle. Nous travaillions à l’époque entre 60 et 70 heures par semaine et nous attendions également cela de la part de nos collaborateurs. Nous avions derrière nous la lourde tradition des restaurants français où nos « patrons » nous poussaient à l’extrême. Et nous faisions de même avec notre personnel. Ceci alors que ce n’était pourtant plus tellement le cas et que chacun avait déjà pris sa revanche d’un point de vue social et familial. Le respect pour les collaborateurs avait sérieusement augmenté. Et maintenant, on assiste même au contraire et les employés ont de moins en moins de respect pour les chefs.” 

La cuisine d’aujourd’hui permet de tirer pas mal de parallèles avec la nouvelle cuisine qui avait fait son chemin à l’époque. La nouvelle cuisine plaidait pour plus de simplicité et nous a amené plus d’ingrédients du terroir. Mais rapidement il y a eu des exagérations comme des poitrines de pigeonneau caramélisées et enrobées de chocolat ou des soles aux fraises et aux kiwis. En fait, il n’y a pas tellement de choses qui ont changé. On va à nouveau vers la simplicité mais je vois apparaître des associations qui sont amorcées sans aucunes connaissances de base. Récemment, j’ai mangé du lapin qui était accommodé avec une huile à l’estragon du Mexique. J’appelle cela de "l’extra-con du Mexique”! Je suis peut-être un peu candide dans ce domaine mais ceci n’a tout de même aucun sens. Cela n’apporte rien. 

 

 

Guy Van Cauteren

Alain Deluc

Alain Deluc, du restaurant Barbizon, à Overijse, dont le père Jacques était un des membres fondateurs des Mastercooks, a repris la présidence en 2002. « Au départ, je n’avais pas particulièrement envie de devenir président. On me l’avait déjà proposé à plusieurs reprises et je ne me voyais pas cumuler cette fonction avec la gestion prenante de mon affaire. Mais tout le monde me disait qu’il fallait que j’accepte et j’y ai trouvé l’opportunité de renforcer la cohésion et l’amitié au sein du groupe. En outre, j’étais le premier pure francophone à poser ma candidature, né et éduqué en Belgique, certes, mais bien de nationalité française, tout comme mon père. Pour répondre à ce problème, j’ai choisi comme vice-président Daniël Lassaut en tant que pendant néerlandophone. J’ai tenté de renforcer l’image de l’association tant en Belgique qu’à l’étrange, de représenter la voix du groupe et d’attirer les partenaires. Comme je voulais assurer une présence forte au sein de l’association, j’ai engagé un chef pour mon restaurant mais, après trois ans cette présidence n’était plus compatible avec mon affaire.”

 

“J’ai voulu renforcer l’image des Mastercooks aussi bien dans le pays qu’à l’étranger."

Alain Deluc

 

Pourrait-il réenvisager une présidence maintenant qu’il n’a plus de restaurant ? « Non, je mène aujourd’hui une existence nettement plus détendue. Je suis encore très actif au sein de l’association et cela me fait plaisir, mais plus en tant que président. Mais tous les changements intervenus me réjouissent. Ils donnent plus d’élan à l’organisation. Nous avons besoin de plus de jeunes qui acceptent de monter à l’avant-plan. Nous appartenons à la génération précédente. Nous pouvons faire part de notre expérience et donner notre avis mais ce sont les jeunes qui doivent mener les Mastercooks vers l’avenir.” 

 

Alain Deluc

Robert Van Duüren

Exit Alain Deluc, bienvenue à Robert Van Duüren en 2006. “J’avais vendu mon restaurant en 2000 et, en tant que cofondateur de l’association, j’étais toujours resté membre du Comité exécutif. Je disposais du temps nécessaire pour m’impliquer. Mes préoccupations principales portaient sur la continuité de l’association et sur notre présence partout dans le pays. Le nombre de membres restait constant, autour des 80. Pour maintenir ces effectifs j’ai toujours été à la recherche de nouveaux membres. Voilà pourquoi, en compagnie d’Attilio Basso, le chef de l’Ecailler du Palais Royal, nous parcourrions tout le pays à la recherche de candidats. Nous allions vérifier anonymement ce qu’ils servaient dans leurs assiettes. Nous étions également en quête de partenaires intéressants et de sponsors pour renforcer l’action de l’association. C’est également à cette époque que nous avons commencé avec les Bons Moments, les chèques cadeau avec lesquels on pouvait aller manger chez les Mastercooks et qui ont fini par avoir un beau succès.”

 

“Avec Attilio Basso, j’allais partout en Belgique pour goûter de manière anonyme, à la recherche de nouveaux jeunes Mastercooks.”

Robert Van Duüren

 

A l’époque où Robert était encore actif en tant que cuisinier, la nouvelle cuisine était arrivée à sa conclusion. « La rupture avec les grands principes d’Escoffier avait apporté beaucoup de changements positifs. Mais beaucoup d’abus ont été commis de manière irrationnelle. C’est en France que l’on a assisté aux plus d’excès. C’est là que l’on a vu que nos chefs belges étaient beaucoup plus raisonnables que leurs collègues d’Outre Quiévrain et qu’ils avaient pu mettre cette « nouvelle cuisine » à leur main avec beaucoup de professionnalisme.” 

 

 

Robert Van Duüren

Frank Fol

Pour Frank Fol, qui a repris la barre de Robert Van Duüren en 2012, cette réunion des présidents constitue un moment tout particulier. « Il n’était encore jamais arrivé que ces gens aient été rassemblés à une seule table. Ils ont écrit plusieurs page de l’Histoire gastronomique du pays. Les Mastercooks ont jeté les bases de la cuisine belge contemporaine que nous allons encore développer en y embarquant les prochaines générations.” 

 

“Avec les Young Masters, nous avons l’ambition d’assurer l’avenir de la gastronomie belge ainsi que de ranimer la flamme de l’association.”

Frank Fol

 

Frank Fol: “Lorsque l’on m’a demandé de devenir président, j’ai d’abord réalisé une enquête pour déterminer ce que les chefs et les partenaires potentiels avaient à raconter. En ce compris les journalistes qui connaissent bien l’Histoire de la cuisine belge, afin de poursuivre l’histoire des Mastercooks et de la développer. Je pense qu’aujourd’hui tous les topchefs du pays sont membres de l’association et que nous pouvons développer une réputation internationale dans le cadre des Worldchefs, dont nous sommes aujourd’hui membres. C’est pourquoi j’ai changé le nom de « Maîtres Cuisiniers” en Mastercooks, ceci afin de nous distinguer d’autres associations culinaires et de nous profiler de manière plus internationale. J’ai aussi fortement augmenté le nombre de membres. Nous en avons aujourd’hui 180, plus un nouveau groupe de jeunes, les Young Masters. , de jeunes chefs talentueux qui sont appelés dans le futur à devenir des Mastercooks de plein exercice. Ils représentent l’avenir du métier et doivent entretenir le feu dans l’association. Une nouvelle génération dispose généralement d’un regard différent et peut proposer des solutions inspirantes. Nous avons également renforcé la communication à travers les réseaux sociaux, entre autres au moyen d’une newsletter électronique, des information en direct et un site web étendu. “
Lorsqu’il jette un regard en arrière sur les années écoulées, il voit un problème récurrent, à savoir le manque de participation des membres. « Il semble que libérer du temps pour l’association ne soit pas une chose facile. Chacun s’occupe de ses affaires directes. Lorsque nous organisons quelque chose, nous nous retrouvons à peu près à la moitié des 180 membres inscrits. Mais cela signifie que l’autre moitié ne se sent pas concernée et ceci, c’est regrettable. Car nous faisons beaucoup pour la promotion de leurs restaurants via nos canaux de communication et via la presse. Les membres qui parviennent à se libérer pour ces grands moments sont à mes yeux nos véritables ambassadeurs. »
Comment voit-il la suite des évènements ? « Voilà une question difficile. Après trois mandats, je désire transmettre le flambeau. Mon engagement reste entier mais pour l’instant, je ne vois personne qui soit désireux d’emboiter mes pas. Les gens ont peur de mettre le pied à l’étrier. J’invite chacun et certainement les jeunes chefs à rejoindre la direction du mouvement et, qui sait, à en devenir le président. Et d’ainsi poursuivre le développement de la grande réputation de la cuisine belge aussi bien au niveau national qu’à l’international !"

 

 

Frank Fol huidig voorzitter van de Mastercooks