Les fondateurs des Mastercooks

Voici 40 ans, le refus de l’association française des Maîtres Cuisiniers d’affilier Pierre Romeyer allait porter en germe l’idée de créer une association belge. C’est en effet comme cela que celui qui allait devenir le baron Romeyer allait, avec ses collègues Pierre Wynants et Jacques Deluc, créer une association professionnelle pour les cuisiniers belges. Claude Dupont, Robert Van Duüren et Pierrot Fonteyne allait également grimper dans ce train. Nous avons réuni les fondateurs survivants là où tout a commencé : au Comme chez Soi. 

Mouch Romeyer, la veuve de Pierre Romeyer se souvient bien de la manière dont l’idée a été mise sur les fonts baptismaux. “A la fin des années septante, mon mari avait participé à une croisière gastronomique Gault & Millau, ensemble avec Paul Bocuse, Roger Verger et encore quelques autres chefs français. Chacun cuisinait à son tour un repas dans la préparation duquel il était aidé par les autres. Tous les matins, un briefing était organisé sur le pont du bateau avec les clients et, de celui-ci, il était ressorti que c’était le menu de Pierre qui avait été le plus apprécié. Ceci n’avait pas échappé à Paul Bocuse, qui avait alors dit à Pierre qu’il devait devenir membre des Maîtres Cuisiniers de France. Mais lorsqu’il a présenté sa candidature, il a été refusé. Les Maîtres Cuisiniers de France n’acceptaient pas les étrangers, ni les femmes d’ailleurs. C’est ainsi que, dans ces conditions, Pierre a dit qu’il allait créer une association belge. Et c’est comme cela que tout a commencé."

“Pierre Romeyer a adapté les statuts français à sa manière et a permis aux femmes et aux chefs étrangers de devenir membre”

Mouche Romeyer

Pierre Wynants: “Alors qu’il avait été refusé, Romeyer s’est rendu à une réunion des Grandes Tables du Monde, à laquelle assistait également Paul Blanc, le président d’alors des Maîtres Cuisiniers de France. Pierre lui demanda de modifier ses statuts mais l’homme ne voulut rien entendre. C’est alors que, sur base des statuts de l’association française, il a créé l’association belge, au sein de laquelle par contre seraient admis les étrangers et les femmes.” 

Claude Dupont: “A la première heure, nous étions une dizaine. Chaque membre fondateur devait faire un apport de 20.000 francs, une somme non négligeable pour l’époque. C’est cela qui a constitué le capital de départ du groupement.”

 

L’élite
Les chefs du départ constituaient un petit club élitiste. Les fondateurs le reconnaissent volontiers. Mais il ne pouvait pas en être autrement. 


Pierrot Fonteyne: “Le petit groupe de fondateurs s’est vite étendu jusqu’à une soixantaine de chefs. Il fallait qu’ils soient au boulot depuis un minimum de cinq ans pour qu’ils puissent nous rejoindre. Et il y a eu une série de femmes chefs qui nous ont rejoints, comme Solange De Brouwer (Kokejane, à Herne), Thérèse Desmedt (’t Oud Konijntje, à Waregem), Chantal Delarue (Le Béarnais, à Bruxelles), Denise Focquet (Hostellerie Le Val d’Amblève, à Stavelot) et Josée Solheid (Hôtel des Bains, à Waismes).” 

Mouch Romeyer: “Au départ, il s’agissait d’un petit clan bruxellois. Ce n’était pas étonnant car, à l’époque, les meilleurs chefs de l’époque étaient établis à Bruxelles. Que l’on pense seulement à Julien Vermeersch du Carlton, à George Michel de l’Auberge d’Alsace à Tervuren (où mon mari avait encore été apprenti) ainsi que Georges Nollet  qui, à l’époque avec Marcel Kreusch, lança la Villa Lorraine. Eux, et tous les autres grands chefs bruxellois étaient tous des amis de Pierre. Ils constituaient alors la véritable élite de la profession. Ils se rencontraient tous à Bruxelles. C’est dans la capitale que les chefs flamands comme wallons trouvaient du boulot de haut niveau. La Flandre, à l’époque, comportait moins d’entreprises et aussi moins de restaurants récompensés par une étoile au Michelin. La situation était un peu différente en Wallonie où la situation économique état meilleure à l’époque, ce qui expliquait le plus grand nombre de restaurants en activité.”

Pierre Wynants: “Bruxelles constituait à l’époque l’épicentre de la gastronomie belge et comptait plus d’étoiles que Lyon. Notre pays était alors connu comme une terre de gourmandise, où les restaurants étaient réputés particulièrement accueillants. Et nous avions, comme nous l’avons toujours d’ailleurs, une culture gastronomique qui étaient réputée au-delà des frontières.”

“Bruxelles était alors l’épicentre de la gastronomie belge.”

Pierre Wynants

Pierrot Fonteyne: “Les cuisines flamandes et wallonnes étaient apportées à la capitale par les chefs originaires des deux régions mais qui s’établissaient à Bruxelles. Les moules et frites? Cela a été lancé par un Flamand à Bruxelles. Les croquettes au crevettes? Même constat! Et l’on pourrait comme cela poursuivre l’énumération. Les chicons et les choux de Bruxelles qui poussaient autour de la ville éaient magnifiés dans nos restaurants. Ces produits typiques appartiennent à notre patrimoine et ont contribué à notre rayonnement culinaire.”

Robert Van Duüren: “A l’époque, le français étaient la langue dominante dans la cuisine. Durant ma formation à Coxyde dans les années cinquante, tous les livres d’études étaient en français et le Guide culinaire d’Escoffier constituait la bible. Nous recevions également une solide formation théorique en français qui, nous permettait de nous débrouiller aussi bien à Bruxelles qu’en France. L’anglais et l’allemand figuraient également au programme. Durant l’été, nous effectuions deux mois de stage dans des hôtels de la Côte. Nous travaillions alors facilement 10 à 12 heures par jour, sept jours sur sept. Cela nous préparait à la véritable vie des restaurants.  Je ne vois plus cela dans les formations, alors que le métier comporte encore des horaires très lourds.”

Nouvelle cuisine

In 1980, lorsque l’Association des Maîtres Cuisiniers a été créée, la cuisine était en pleine mutation. La nouvelle cuisine, une nouvelle manière de cuisiner qui avait vu le jour en France dans les années soixante, faisait lentement son entrée chez nous. 

Claude Dupont: “Il ne s’agissait pas seulement d’une évolution dans la cuisine mais bien d’une révolution. Nous étions tous des chefs formés de manière classique, éduqués dans les principes de la Haute Cuisine, et voilà que voyions apparaître les mousses, les sauces avec beaucoup plus d’herbes et basées sur des jus de légumes, avec moins de beurre et de crème, et avec des temps de préparation plus courts. Nous étions quelques part un peu dépassés par les évènements.”

“La nouvelle cuisine n’était pas seulement une évolution mais bien une révolution.”

Claude Dupont

Robert Van Duüren: “’’Cette nouvelle cuisine avait pour objectif d’alléger les préparations. Et dans cet esprit, tout a été jeté un moment par-dessus bord, en diminuant les quantité de sauce, en augmentant les quantités de légumes, en réduisant les portions. Mais heureusement, nous avons rapidement fait un peu machine arrière et trouvé une voie médiane plus sage. C’est ainsi que chaque chef a trouvé sa propre interprétation de cette évolution.”

Pierrot Fonteyne: “L’emploi de légumes constituait tout de même une nouveauté. Et nous avons fait connaissance avec de nouveaux produits, entre autres en provenance d’Asie et d’Amérique du Sud. Ceci nous a certainement permis d’évoluer dans notre pratique culinaire. A l’époque où nous avions été formés, on ne voyageait pas autant qu’aujourd’hui. La meilleure formation se déroulait alors en France, chez les classiques. Mais les jeunes chefs français partaient déjà au Japon et inroduisaient grâce à cela de nouveaux produits et de nouvelles techniques, qui ont entre autres stimulé le développement de la nouvelle cuisine. Aujourd’hui, les jeunes chefs parcourent le monde pour développer leur pratique et acquérir de l’expérience. Ceci constitue une grosse différence par rapport à notre époque.”

 

Nouvelle Cuisine

En 1980, lorsque l’Association des Maîtres Cuisiniers a été créée, la cuisine était en pleine mutation. La nouvelle cuisine, une nouvelle manière de cuisiner qui avait vu le jour en France dans les années soixante, faisait lentement son entrée chez nous.

 

40 ans plus tard

Comment les fondateurs purs et durs, qui ont aujourd’hui tous autour des quatre-vingts ans, perçoivent-ils l’évolution du secteur ? Forts de leur expérience impressionnante, ils en parlent sobrement.

Pierrot Fonteyne: “Je ne vois tout de même pas l’avenir du secteur en rose. Le nouvelle génération de cuisiniers fournit des chefs qui ont parfois seulement 22 ans. Avec à peine quatre ans de métiers, ils pensent avoir déjà suffisamment d’expérience. Ceci alors qu’en fait, il faudrait avoir parcouru toutes les étapes du métier, et en plus dans différents types de maisons, pour pouvoir prétendre être expérimenté. Ce qui demande au moins une dizaine d’années. Les véritables oiseaux rares qui peuvent apprendre le métier dans un délai très courts sont des petits génies, les Mozarts de la cuisine. Et ils sont très rares. Il y a également énormément de progrès techniques qui sont intervenus afin d’alléger le métier. Et c’est très bien ainsi. Malheureusement, beaucoup de connaissances techniques se sont perdues. Ainsi, à l‘époque, nous cuisinions certaines viande souvent directement sur l’os. Mais maintenant, les morceaux arrivent déjà levés.”

Mouch Romeyer: “De son côté, la clientèle a elle aussi beaucoup changé. Souvent, les gens pensent posséder autant de compétences que les chefs et ne sont pas avares de critiques. Dans le temps, ces dernières étaient souvent nettement plus fondées. Par ailleurs, dans certains restaurants, on ne sait plus vraiment reconnaître ce que l’on mange, tellement les ingrédients sont transformés, voire cachés….”

Pierrot Fonteyne: “A un moment, cela va devoir connaître un terme, car pour l’heure, on en arrive à créer pour créer. De jeunes chefs associent différents éléments entre eux et espèrent que cela va fonctionner. Mais ils ne prennent pas la peine de goûter.”

Mouch Romeyer: “A un certainement, ils arrivent à un blocage, car ils manquent d’expérience en cuisine. Mon mari disait toujours : la cuisine, c’est comme la musique, le fourneau étant le piano. Si l’on connait le solfège (la théorie), alors on peut apprendre à cuisiner. Et ceci est toujours vrai aujourd’hui ”

Juste après que ces interviews furent bouclées, Pierrot Fonteyne est décédé du Coronavirus. Nous n’oublierons jamais son enthousiasme, son amitié et sa compétence professionnelle.

 

Pierrot Fonteyne
mouche-romeyer

Mouche Romeyer
Vve. Mastercook Pierre Romeyer

pierre-wijnants

Mastercook Pierre Wynants

Claude Dupont

Mastercook Claude Dupont

Pierrot Fonteyne

Mastercook Pierrot Fonteyne

Robert Van Duüren

Mastercook: Robert Van Duüren