Centpourcent
Interview
Un nouveau Maître Cuisinier avec trois étoiles au Michelin: Axel Colonna-Cesari
Non, non, il n’y a pas d’erreur dans ce titre. Le nouveau Maître Cuisinier Axel Colonna-Cesari peut légitimement s’enorgueillir de trois étoiles Michelin. La première qu’il a reçu en 2003 dans son restaurant Folliez à Malines, la seconde qu’il a conquis en tant qu’ « executive chef » pour le restaurant gastronomique l’Orangerie de l’Auberge du Pêcheur à Laethem-Saint-Martin et enfin la troisième obtenue dans son propre restaurant Centpourcent à Wavre Sainte Catherine.
TB Comment êtes-vous devenu cuisinier?
“Je viens d’une famille de l’Horeca. Mes parents ont exploité en leur temps un café, une discothèque et un restaurant. Depuis l’âge de treize ans, je voulais déjà travailler dans un restaurant et aller à l’école hôtelière mais mes parents n’étaient pas d’accord. Afin de me décourager – ils pensaient que j’allais renoncer face à la masse de travail exigée dans un restaurant de haut niveau -ils m’ont fait travailler à partir de 14 ans au Fox, à La Panne. Tous les weekends et toutes les vacances. Après un an, je me suis retrouvé à l’école hôtelière..”
TB Cela n’a donc pas servi à grand-chose!
“Au contraire, j’ai particulièrement apprécié ce travail. L’école hôtelière Ter Duinen constituait un choix logique pour quelqu’un qui habite à La Panne. J’ai continué à travailler au Fox jusqu’en ce compris ma sixième, donc quatre ans au total. Entre temps, mes parents avaient repris une affaire et démarré un restaurant. C’était un membre de la famille qui se trouvait en cuisine. Au départ, je devais me retrouver dans la salle, ce que je préférais à la cuisine. Mais comme mes parents avaient des problèmes avec la cuisine, ils m’ont demandé –j’étais en dernière année – de les aider pendant trois mois… J’y suis resté huit ans!”,
TB Vous avez également travaillé chez Bruneau…
“Je travaillais déjà depuis un an chez mes parents lorsque Geert Fonteyne m’a demandé je ne voulais pas suivre de stage durant mes vacances. L’idée ne me déplaisais pas et lorsqu’il m’a demandé où je voudrais aller, j’ai répondu: partout sauf chez Bruneau! Et pourtant, c’est là que je les suis retrouvé…. Les choses avaient été arrangées de telle manière que je puisse aller y travailler deux semaines durant les congés. Ce furent deux semaines au cours desquelles j’ai appris énormément! Je pouvais y retourner quand je voulais. En fin de compte, j’y suis retourné trois ans plus tard et j’y ai travaillé toutes les vacances et tous mes jours de congé. En fait, sur la semaine, je travaillais cinq jours chez mes parents et deux jours chez Bruneau.”
TB Après cela, vous quittez la côte pour l’intérieur des terres?
J’avais fait la connaissance de Wouter Vandenhaute. Il avait l’intention d’ouvrir un restaurant à Louvain: Couvert Couvert. En fin de comptes, nos routes se sont séparées. J’étais trop jeune pour débarquer comme associé dans une aventure pareille. Lorsque j’ai arrêté Couvert Couvert, Bruneau avait besoin d’un sous-chef. Et après un an, j’ai pu commencer comme chef dans le restaurant à vin Folliez, à Malines. J’y ai travaillé presque six ans et j’y ai décroché ma “première” étoile. “
TB L’étape suivante: de chef à « executive chef »?
“Je désirais travailler dans une plus grosse structure, accumuler plus d’expérience dans une plus grande entreprise. A l’Auberge du Pêcheur, à Laethem, il y a avait une brasserie, un restaurant, une salle des fêtes, un hôtel… En tant qu’ « executive chef », j’avais la direction de toutes les cuisines. Là, j’ai décroché une étoile pour l’Orangerie et un Bib gourmand pour le Green. Une situation inédite car nous étions les seuls en Belgique à cumuler les deux distinctions. J’y ai appris également beaucoup de choses, entre autres en termes d’organisation, de rapports avec le personnel, de politique d’achats. »
TB Vous aviez là affaire à un emploi fixe de belle qualité et, pourtant, vous avez décidé d’ouvrir votre propre restaurant…
“Mes parents avaient décidé d’arrêter leur activité et, donc, je me suis retrouvé dans l’obligation d’opérer des choix. Allais-je reprendre leur affaire, rester « executive chef » ou me lancer dans ma propre aventure ? Je ne pouvais plus attendre dix ans pour devenir indépendant : cela aurait été trop tard… C’est ainsi que j’ai décidé d’ouvrir mon propre restaurant...”
TB Pas un restaurant à la mer donc, mais bien à Wavre-Sainte-Catherine, tout près de Malines. Pourquoi précisément là ?
« Il s’agit en fait d’une coïncidence car la chose ne me préoccupait pas beaucoup. Ce qui comptait nettement plus à mes yeux, c’était la situation précise. Je voulais me retrouver près d’une ville sans pour autant être en plein centre de celle-ci, en raison des problèmes de parking et d’accessibilité. A mes yeux, il était également important que passe une autoroute dans les environs et qu’il y ait également, non loin, une zone industrielle. Nous avons cherché un peu partout et, en fin de compte, c’est Wavre-Sainte-Catherine qui répondait le mieux à ces critères. »
TB Par deux fois, vous avez laissé une étoile Michelin derrière vous. Ce furent des décisions difficiles à prendre?
“Je ne suis pas obsédé par les étoiles. Cela est bien tombé et je suis très heureux d’en avoir à nouveau une. Mais je n’ai jamais travaillé dans l’idée de décrocher ou garder celles-ci coûte que coûte. Pas plus hier qu’aujourd’hui. A un moment dans la vie il faut se dire qu’il faut faire des choix de vie qui impliquent que l’on s’engage totalement, les fameux “cent pour cent”
TB Le retour de l’étoile Michelin, enfin… Une consécration?
« On ouvre un restaurant d’abord et surtout par passion mais également, et ce n’est pas négligeable, pour gagner de l’argent. Il faut d’abord voir la chose comme une entreprise. Il est toutefois évident que l’on est bien content lorsqu’on se voit récompensé, d’abord par le retour des clients satisfaits et par un bon chiffre d’affaires. Et si, par-dessus tout, on décroche une distinction, c’est évidemment merveilleux.”
TB Quelle importance le titre de Maître Cuisinier de Belgique a-t-il à vos yeux?
“J’ai toujours eu beaucoup de respect pour les collègues qui étaient Maîtres Cuisiniers mais je me trouvais trop jeune et trop inexpérimenté pour faire partie de leur groupe. Je voyais les Maîtres Cuisiniers comme une bande de top-chefs qui avaient déjà tous prouvé quelque chose. Grâce à Frank Fol, il souffle aujourd’hui un vent nouveaux chez les Maîtres Cuisiniers. Et aujourd’hui, je perçois bien, chez les chefs de ma génération – la quarantaine – un intérêt de plus en plus important pour les Maîtres Cuisiniers . »
TB Entrepreneur, artiste, artisan?
“Ce que nous faisons, n’est pas de l’art. IL est possible qu’un beau jour, on signe une assiette fantastique qui, elle, est une véritable œuvre d’art. Mais à partir du moment où l’on commence à produire, il n’y a plus d’art à mes yeux. La première toile d’un peintre est peut-être de l’art mais les copies ne tardent pas à apparaître.
Je me vois comme un entrepreneur. J’investis dans un bâtiment, dans des gens, dans du matériel et j’espère en avoir un bon retour afin de pouvoir faire ce qui me plaît. Enfin de compte, ce qui compte le plus, c’est la clientèle. Pas de clients signifie pas de revenus ! »
TB Comment voyez-vous la gastronomie évoluer dans le futur ? Vous avez peur de la boîte noire?
“Nous travaillons essentiellement avec des hommes d’affaires et le problème ne se pose donc pas pour nous. Beaucoup d’entreprises n’ont pas encore embrayé. Les conséquences seront que celles-ci ne pourront à termes plus investir suffisamment car redevables de plus d’impôts. Chacun sait depuis au moins dix ans que l’on se dirige vers cette situation. Il faut donc réfléchir à la manière de s’en sortir.
Le plus gros problème de l’Horeca n’est pas la boîte noire mais bien les charges sociales trop élevées. Nous avons commencé le Centpourcent avec cinq membres du personnel et nous sommes aujourd’hui à douze. Et en septembre, un treizième va arriver. Ce sont les charges sociales élevées qui sont au cœur du débat. En tant que chefs, en tant que groupe, nous nous devons d’apporter une réponse à cette question. Que va faire – ou ne pas faire! – l’état vis à vis de nous? J’ai participé au déplacement à Bruxelles, essentiellement pour le problème du poids des charges sociales. »
TB Un certain nombre d’adaptations ont été tout de même opérées!
“Oui, mais pas suffisamment. Ce sont de petites mesures cosmétiques pour ceux qui travaillent avec des extras mais pas pour ceux qui travaillent de nombreuses heures avec un personnel fixe. Il y a une amélioration mais il en faut plus. Il faut marcher de manière presqu’impossible pour pouvoir assumer tous ces coûts. Il est clair que la situation devient intenable pour pas mal d’affaires. Je n’en suis pour autant pas trop pessimiste. Je crois en l’Horeca mais j’espère qu’ils vont faire un peu plus pour nous. “
TB Où allez-vous chercher l’inspiration pour vos plats? .
“Je me retrouve avec une bibliothèque des saveurs dans ma tête et j’essaye de m’en sortir ainsi. Le plus souvent, j’écris mes cartes sous la pression. La nuit, en général, et souvent en dernière minute. Je commence avec une feuille blanche et j’écris des mots, des combinaisons de produits et de goûts. A un moment, le déclic se fait et le menu est en route. A part l’un ou l’autre classique, je recommence rarement les mêmes préparations. Je tente d’être aussi réaliste que possible dans mes cartes. Cela fait déjà un bon bout de temps que je travaille avec la même équipe et je connais les capacités de chacun. Je sais ce que je peux demander mais aussi ce que je ne peux pas demander. Et je sais également jusqu’où je peux aller plus loin. »"
TB Disposer aujourd’hui d’une équipe fixe dans un restaurant n’est pas évident!
“Voilà quatre ans que nous sommes à l’œuvre. Au début, il y a bien entendu pas mal de roulement mais depuis les deux dernières années l’équipe est restée la même à 90 %. Une bonne équipe, constante et pleine de cohésion. Nous avons bien entendu beaucoup travaillé pour en arriver là. C’est quelque chose que l’on ne peut pas faire tout seul. Le personnel est le principal problème d’aujourd’hui dans bon nombre d’affaires. Je touche du bois, j’espère que la situation chez nous ne va pas changer.”
TB Vous êtes installé dans une région bien connue pour ses légumes. Cela influence-t-il votre cuisine?
“Certainemement ! J’adore travailler avec les légumes. Depuis le mois de mai, nous avons commencé avec notre propre potager et avec nos serres, sur quelque 2000 mètres carrés. Nous avons débuté avec 208 variétés de de légumes mais d’autres vont assurément venir gonfler ce nombre. “
TB Le chef va-t-il travailler au jardin pour se détendre?
“Non, je n’ai malheureusement pas assez de temps pour faire cela. Et en plus (rires), je n’ai absolument pas la main verte! C’est sans doute très gai et je suis enthousiaste mais ce n’est vraiment pas mon truc. Je donne volontiers un coup de mains mais de là à en faire une activité quotidienne…
Pour moi, la détente consiste surtout à profiter de ma famille. Prendre du temps les uns pour les autres et voir ce que l’on peut faire. Tout simplement bien occuper nos rares loisirs. Nous allons ainsi volontiers manger à l’extérieur mais pour le plaisir. Pas pour voir ce que font mes collègues mais bien pour pouvoir passer un bon moment de table ensemble, en bavardant de tout et de rien… “
TB Quel est votre meilleur souvenir de table?
“J’en ai vécu tellement… Mon dernier moment de grâce gourmande, c’est l’avant dernière fois où j’ai été mangé à ’t Zilte. Il y a un an demi, j’y ai dégusté un menu tout légume. Pour moi, c’était le sommet, assurément digne de trois étoiles. Mais je ne désire pas toujours pratiquer la haute gastronomie. Un restaurant où j’ai pris énormément de plaisir est le “Huit Chef!” à Saint Idesbald. Il est exploité par un couple qui travaille sans personnel. Madame est en cuisine et fait cela remarquablement.”
TB Comment décririez-vous votre style de cuisine?
“Ma cuisine est une bonne synthèse de la gastronomie contemporaine avec la tradition asiatique. J’essaye essentiellement d’arriver à une vision fraîche et légère de la gourmandise. J’aime aussi mettre les produits régionaux en avant.”
TB D’où vient cette note asiatique?
“J’ai fréquenté les restaurants avec mes parents dès l’âge de sept ans. Nous allions tous les mois dans un remarquable établissement thaïlandais à La Panne. Il est indiscutable que cela m’a influencé. Je ne juge néanmoins pas nécessaire d’aller en Thaïlande. Ce qui m’effraye, c’est d’être éventuellement trop influencé par l’une ou l’autre culture ou style de cuisine. Il n’entre pas dans mon intention de copier ou de m’approprier quoi que ce soit mais bien d’intégrer un certain nombre de choses dans mon évolution personnelle. Il ne faut jamais s’éloigner de sa propre route. “
TB Vous avez mis une ligne de pralines sur le marché?
“Tous les ans, je reçois des pralines en cadeau. J’en goûte une et puis je range le ballotin dans l’armoire. Dans la plupart de ces chocolats, il manque la légèreté, la fraîcheur. Je m’étais déjà attelé à des créations pour le restaurant et j’ai poursuivi logiquement dans cette voie, surtout pour notre publique d’affaires. Il s’agit d’un très beau cadeau de relation. Mais nous pensons également nous adresser à un public plus large dans le futur. “
Interview Tine Bral – traduction Philippe Bidaine