Interview Young Masters
The Young Masters est le nouveau groupement de jeunes des Mastercooks. Ils sont tous de jeunes chefs ambitieux dont la carrière est en train de prendre un élan impressionnant. Comment voient-ils leur rôle au sein des Mastercooks ? Quelles sont leurs préoccupations ? Et quelles sont leurs ambitions ?
Nous avons interviewé :
- Maxime Collard (la Table de Maxime in Our),
- Gary Kirchens (Aurum, Kasteel Van Ordingen, Sint-Truiden),
- Seppe Nobels (Graanmarkt 13, Antwerpen)
- Sam Van Houcke (Maste, Gent).
Nous les avons rencontrés à la Villa Lorraine, qui était, jusqu’il y a peu, le restaurant où œuvrait Gary Kirchens, ceci peu avant la fermeture et les travaux en vue du nouveau restaurant d’Yves Mattagne.
Comment les Young Masters perçoivent-ils leur rôle au sein des Mastercooks ?
Les quatre chefs sont unanimes : l’échange d’idées joue un rôle majeur. Mais il y a également bien d’autres choses.
Seppe Nobels : “Il est important que nous puissions travailler de manière inspirante. Que la jeune garde puisse influencer l’ancienne génération mais également le contraire. Je comprends également qu’un certain nombre de chefs plus âgés, parmi lesquels certains furent nos anciens instructeurs, sont heureux de notre engagement en tant que « bande de jeunes ». Ceci suscite un respect mutuel.”
Sam Van Houcke : “Nous apportons de la jeunesse au sein de l’association. Nous constituons l’avenir de la profession et nous devons assumer cela ensemble. Nous nous devons entre autres d’être des exemples pour les jeunes qui ambitionnent d’embrasser la carrière. »
Maxime Collard : “Nous sommes tous de jeunes chefs motivés, ceci que nous soyons flamands, bruxellois ou wallons, tous nous sommes porteurs d’une dynamique forte et d’une identité solide. Ce ne sont pas que les idées que nous échangeons mais également nos « terroirs ». Nous sommes tous des cuisiniers. Mais nous faisons tous face aux mêmes difficultés. C’est pour cela qu’il est bon que, quel que soit notre âge, que nous soyons jeunes ou vieux, nous parlions et cherchions et échangions nos solutions. ”
Gary Kirchens : “Je trouve l’échange d’idées important mais aussi la défense commune de notre identité culinaire. La Belgique est un petit pays au sein duquel on retrouve des communautés différentes qui collaborent de moins en moins. Ceci présente le risque que, non seulement, nous perdions notre patrimoine commun mais aussi que nous nous perdions de vue. Les Mastercooks constituent une importante association nationale qui a la possibilité de rassembler les forces afin de défendre notre trésor gastronomique commun tant au niveau national qu’international. ”
Seppe Nobels : “Il est très important que la Flandre et la Wallonie se réunissent d’un point de vue gastronomique. Ceci afin de former un front uni et, à terme, d’y inclure également le Luxembourg et les Pays-Bas, soit le bon vieux Bénélux. C’est ainsi que nous pourrons continuer à nous profiler d’un point de vue international. Avec quelques collègues, j’appartiens à la sélection des 50 Best Discovery. Nous fûmes invités à sept, également avec une petite délégation du Luxembourg et des Pays-Bas. Nous avons été complètement écrasés par la délégation espagnole qui ne comprenait pas moins de 45 personnes ainsi que par l’impressionnante délégation scandinave. Nos chefs sont-ils moins bons ? Les Mastercooks et les Young Masters doivent unir leurs forces. Premièrement en assurant autant que possible de manière commune la défense de notre gastronomie belge. Cela a beaucoup plus d’impact que de se contenter d’assurer la promotion de son propre restaurant ou de sa propre ville. En tant qu’équipe solide, nous sommes capables d’aller nettement plus loin..”
Gary Kirchens : “Je suis tout à fait d’accord avec cela. Mais il y a encore du pain sur la planche. Il nous faut d’abord mettre la Belgique de manière beaucoup plus précise sur la carte du monde afin de nous faire mieux connaître auprès des autres pays. Au vu de la manière dont nos agendas sont surchargés, je ne vois pas cela se dérouler dans un avenir immédiat. C’est pour cela que nous avons besoin de quelqu’un qui coordonne ces efforts et qui tire la charrette avec nous…
Maxime Collard : “Nous pouvons sans rougir nous produire à l’étranger mais dans ce cas, nous avons besoin de quelqu’un qui peut nous introduire dans les autres pays. Par ailleurs, notre identité culinaire ne passe pas seulement par nos chefs mais également certainement par nos produits régionaux. En tant que Young Master, je vois une opportunité d’assurer ensemble la promotion de ces richesses régionales afin de renforcer notre identité et d’assurer notre présence à l’extérieur.”
Seppe Nobels : “C’est le moment. Nous avons de bons partenaires, des producteurs, des fournisseurs, de merveilleux produits régionaux et un terroir magnifique. Mais nous ne jouons pas assez de tout cela. Partout sur la planète, on retrouve les mêmes cartes-menu sur lesquelles on retrouve les mêmes ingrédients. C’est sur base de nos produits uniques que nous pouvons faire la différence. Il est très important qu’en tant que Young Masters nous jouions plus de ces richesses régionales. Chaque chef a sa propre signature, sa propre histoire et son propre fil rouge. Ainsi, à titre personnel, je me sens fort grâce aux légumes qui rentrent dans mes préparations et qui proviennent de producteurs locaux. Il serait intéressant que chaque Young Master dresse une liste de dix artisans avec lesquels il aime travailler. Ceci nous permettrait de constituer un répertoire des producteurs de talent qui nous permettent de nous distinguer en tant que Young Master. Nous pourrions publier cette liste sur internet ainsi que sur le site des Mastercooks. Je ne veux pas garder mes producteurs pour moi tout seul mais les partager. Je veux inspirer d’autres cuisines. Il est question ici de produit qui font rayonner notre identité et grâce auxquels nous pouvons être reconnus aussi bien en Belgique qu’à l’international.”
Maxime Collard : “Dans ce domaine, en Wallonie, il existe déjà des échanges entre producteurs et entre chefs. Chaque membre du collectif de cuisiniers “Génération W » a repris dans une charte cinq producteurs locaux avec lesquels l’association travaille. Le problème est que beaucoup de ces artisans aient une production très réduite et que les apports soient très petits. Nous ne pouvons donc jouer cette carte qu’à la condition que leur production augmente mais sans pour cela qu’elle perde son caractère artisanal.”
Les collaborateurs motivés deviennent des oiseaux rares
Une des difficultés auxquels les Young Masters mais aussi tous les restaurants de ce pays sont confrontés est le manque de personnel.
Sam Van Houcke : “Les bons collaborateurs s’apparentent de plus à de véritables oiseaux rares. Non seulement leurs capacités sont souvent médiocres mais en plus, ils ne veulent plus travailler durant les weekends et le soir. Précisément aux moments où les gens aiment sortir pour aller manger.”
Gary Kirchens: “Il est pour l’instant plus facile de trouver de bons produits régionaux que des bons collborateurs. Il fut en temps où il existait de remarquables maîtres d’hôtel et d’excellents sommeliers mais aujourd’hui, beaucoup de candidats qui se présentent pour ces emplois n’ont plus de connaissance des produits, même s’ils ont certaines capacités. La mentalité a changé. Notre travaille repose sur la passion. On ne compte pas ses heures. Mais les jeunes veulent de l’argent et ne plus travailler. Il y a pas mal de cuisiniers bourrés de talent qui ne demanderaient pas mieux de développer leur activité mais ils sont arrêtés dans leur élan parce qu’ils ne trouvent pas de personnel motivé.”
Maxime Collard : “Nous devons réfléchir à la manière de motiver les jeunes pour qu’ils viennent travailler en salle. Dans beaucoup de restaurants, ils ne sont plus que des porteurs d’assiettes et ceci n’est pas de nature à les motiver. En dressant directement en cuisine toutes les préparations sur l’assiette, beaucoup de compétences techniques autrefois propres à la salle ont été perdues. Il faudrait peut-être revoir cela. Mais, comme l’expriment Sam et Gary, un des gros soucis est que les jeunes d’aujourd’hui ne veulent plus travailler. ”
Seppe Nobels : “Je trouve qu’en tant que Young Masters nous devons nous ouvrir à l’idée de considérer quelqu’un de compétent en salle également comme un « Master ». Un bon barman, un bon maître d’hôtel ou un bon serveur méritent à mes yeux ce titre. Autrefois, le personnel de service était la face visible de la maison alors que, depuis quelques générations, ce ne sont que les chefs qui sont mis sous les projecteurs. Les chefs sont devenus des stars du Rock. Nous faisons l’objet de toutes les louanges dans les guides et c’est bien entendu très agréable. Mais nous devons revaloriser le travail de service. Nous leur avons retiré les préparations en salle, les découpes, le pressage du canard, la préparation du sabayon, le dressage sur l’assiette. Nous devons y retourner. En créant une catégorie à part de “Master en service” nous pourrons remotiver les troupes. Et ceci à l’intention des jeunes qui veulent effectuer leurs premier pas dans le métier.”
Des agendas surchargés et la barrière des langues
Les Young Masters ont de l’ambition à revendre mais la lourdeur de leurs agenda les empêchent souvent de faire tout ce qu’ils voudraient.
Gary Kirchens : “Nous nous voyons régulièrement mais le manque de temps nous empêche de réaliser pas mal de grandes choses. Les Young Masters, tout comme les Mastercooks, doivent trouver le temps de se rencontrer. Car chaque fois que nous sommes ensemble, les échanges d’idées sont fructueux.
Seppe Nobels : “Les choses ne sont pas aussi simples que nous l’avions imaginé au départ. Chaque Young Master est en train d’écrire sa propre histoire, est en train de bâtir sa carrière. C’est maintenant que nous devons nous consacrer à notre développement. Certains d’entre nous ne disposent que d’une toute petite équipe. Ils ne peuvent pas déléguer le travail de cuisine. Aussi, faire coïncider les agendas relève parfois de la performance. Mais on sent tout de même une volonté certaine d’y arriver. Il y en a certains qui s’engagent très fort et tentent d’organiser des rencontres. Et lorsque cela a lieu, c’est chaque fois fantastique et particulièrement inspirant. Mais cela arrive encore trop rarement.
La barrière de la langue joue-t-elle un rôle ? Les chefs sont-ils au courant de ce qui se passe dans l’autre partie du pays ?
Sam Van Houcke : “Il y a une barrière linguistique. La Belgique reste la Belgique. Parfois c’est un peu problématique mais en fin de compte, nos différences rendent les choses passionnantes. Notre unique objectif est de placer la Belgique sur la carte du monde d’un point de vue gastronomique.”
Gary Kirchens : “Deux langues différentes ne facilitent pas la communication. D’un point de vue pratique, il n’est pas facile de trouver des solutions. Mais il s’agit de respect mutuel et de travailler ensemble pour le même objectif.”
Seppe Nobels : “Il existe assurément une barrière linguistique. Il est plus facile pour un chef flamand de communiquer avec un chef néerlandais et pour un chef wallon de communiquer avec un chef français. Mais nous devons aller au-delà de cela. Nous constituons une forte association nationale. Nous défendons un pays, un terroir. Notre pays est divisé dans de nombreux domaines mais si le sport peut nous réunir, pourquoi la gastronomie ne le pourrait-elle pas ? Le défi principal est que les Mastercooks et les Young Masters se montrent à l’extérieur avec un seul récit. C’est ce que mon restaurant ou un autre au sein des Young Masters ne pourra jamais faire tout seul. C’est seulement de cette manière que nous pourrons avoir un impact international. »
“Pourquoi ne pas créer une catégorie à part de “Masters en service”, grâce à laquelle on pourrait susciter la motivation du bon personnel de salle ?”
Seppe Nobels
“L’échange d’idées est important mais la défense de notre patrimoine gastronomique constitue une priorité.”
Gary Kirchens
“L’identité culinaire d’un pays ne passe pas seulement par ses chefs mais aussi par ses produits régionaux.”
Maxime Collard
“Nous nous devons d’être des exemples pour les jeunes qui ambitionnent d’embrasser le métier. ”
Sam Van Houcke