Peter Goossens et Christophe Hardiquest : deux topchefs s’expriment sur la cuisine belge
Qu’elle est l’importance des Mastercooks aux yeux de Peter Goossens (Hof van Cleve, Kruishoutem) et Christophe Hardiquest (Bon Bon, Bruxelles), deux de nos chefs les plus réputés ? Quelle est, pour eux, l’identité de la cuisine belge ? Et comment voient-ils l’évolution de celle-ci ?
“Je perçois les Mastercooks comme un soutien à la profession” nous dit le Mastercook Peter Goossens. “Lorsque l’association a démarré voici 40 ans, il n’en était pas de même. Il n’existait ni internet, ni réseaux sociaux. Des chefs réputés, forts d’une grande expérience professionnelle, s’étaient alors rassemblés afin d’assurer une promotion commune, pour montrer qu’ils étaient et ce qu’ils faisaient. Ceci n’a pas changé en soi. L’objectif est toujours la promotion des professionnels. Ce qui a disparu, c’est l’élitisme du passé. Mais aujourd’hui encore, tout le monde ne peut pas devenir Mastercook. La condition reste toujours la maîtrise complète du métier. C’est pour cela qu’un chef ne peut devenir Mastercook qu’après une candidature de deux ans. ”
“Les fondateurs de la première heure étaient des chefs de valeur. Les Mastercooks constituent toujours une association de valeur.”
Christophe Hardiquest
Mastercook Christophe Hardiquest : “Master signifie “maîtriser ». Il faut posséder complètement toutes les facettes de notre profession, en ce compris le respect des produits et de ses collaborateurs. Les fondateurs de la première heure étaient des chefs de valeur. Les Mastercooks sont toujours une association de valeur. Nous, les véritables cuisiniers, nous défendons tous ces mêmes valeurs, nous allons dans le même sens. Nous ouvrons des restaurants parce que nous sommes des passionnés, parce que nous voulons former des jeunes et parce que nous voulons atteindre la qualité. L’association nous aide dans ce sens et nous permet de dynamiser notre profession.”
Peter Goossens : Cuisiner de manière gastronomique constitue un autre niveau de cuisine et c’est ce que nous faisons. Nous sommes des professionnels et nous devons veiller à le rester. C’est à nous de former des jeunes gens afin que la génération suivante puisse porter dignement les valeurs de notre métier. Le point le plus important est toujours à mes yeux le respect du produit. Une vache a dû se battre pendant longtemps afin d’assurer sa croissance. Si elle permet de se procurer un morceau de viande, il faut traiter celui-ci avec respect. Nous devons également témoigner du respect aux fermiers et aux cultivateurs. Je vais simplement prendre la cas du bonhomme qui nous fournit nos jets de houblon. Il a dû crapahuter des heures durant dans de la terre glacée pour nous fournir des pousses exquises. Je ne suis pas un paysan, ni un jardinier, ni un pêcheur. Je ne fais qu’anoblir leurs produits et leur donner une plus-value. Nous devons témoigner du respect à ces gens qui se démènent pour nous fournir les meilleurs produits.”
Une cuisine pleine de goût.
Christophe Hardiquest et Peter Goossens
Peter Goossens: “La grande gastronomie est comme la haute couture. Toutes les deux suivent des modes et établissent des styles. Et, dans les deux cas, les choses ne se passent plus comme voici vingt ans. En ce qui nous concerne, nous mangeons aujourd’hui de manière beaucoup plus légère, avec moins de beurre et de crème, mais toujours avec beaucoup de goût. Nous apprécions toujours le fait de bien manger, les beaux produits et tout ce qui est bon. Nous nous attablons volontiers et aimons d’en parler. C’est notre ADN. Si vous me demandez aujourd’hui ce qu’est la cuisine belge, je n’ai qu’une réponse : une cuisine pleine de goût.
“Si l’on me demande ce qu’est la cuisine belge, je n’ai qu’une seule réponse : une cuisine pleine de goût.”
Peter Goossens
Nous disposons d’une cuisine de saison délicieuse, juteuse et nous devons de jouer la carte de celle-là. En Flandre, la cuisine est dominée depuis des siècles par ce qui provient du jardin. J’ai toujours mis des légumes en œuvre dans ma cuisine. C’est ce qui nous distingue de la France. A l’époque où j’y travaillais, les légumes constituaient un supplément pour lequel il fallait payer. Chez nous, ils ont toujours fait partie intégrante de l’assiette. Et aujourd’hui encore plus que jamais. Ce qui me perturbe c’est que de nombreux cuisiniers – et surtout des jeunes- courent trop derrière les modes. Ils n’ont souvent plus de style personnel. Ils vont en Espagne ou au Japon et tentent d’intégrer ces cuisines dans la nôtre. Or, il ne faut jamais dissocier une cuisine de son pays. Nous ne sommes pas en Espagne, les tapas ont là-bas une autre histoire, dans un climat différent avec une autre température. Je n’ai rien contre le fait d’intégrer un produit espagnol ou japonais pour apporter un accent mais les bases doivent subsister.”
Christophe Hardiquest: “Septante pour cent de mes clients apprécient des produits simples. Donnez-leur une préparation avec du hareng, des moules ou des langoustines et ils vous diront qu’ils ont bien mangé. Car nous veillons à ce que ces produits simples soient valorisés au mieux. J’aime bien le caviar mais je ne veux pas toujours mettre des produits de luxe en œuvre. Comparez les cartes de nombreux restaurants et vous vous rendrez compte de ce que l’on mange presque partout la même chose. Si nous voulons nous positionner contre la globalisation de la cuisine, il nous faut alors lutter contre cette uniformisation. Ma signature est ma quête de bons produits régionaux et la mise en œuvre de ceux-ci au plus haut niveau. La valorisation des produits belges est une des missions principales des Mastercooks. Nous représentons la cuisine belge en rassemblant des produits du Nord comme du Sud du pays. Ma cuisine repose à 100 % sur des recettes belges. Et j’ai l’ambition d’aller très loin dans cette direction. Ainsi, pour l’instant, je suis en train de faire murir mes propres jambons qui ont été traités à la gueuze. Je veux produire des mets à propos desquels on peut raconter une histoire. C’est par là que l’on peut faire la différence. Les étrangers qui viennent en Belgique veulent savourer notre terroir, nos légumes uniques, le poisson de la mer du Nord, nos crevettes, nos bières, les goût amers et acides qui sont si typiques. L’influence des Mastercooks est à cet égard déterminante mais va encore au-delà. Au cours des dernières décennies, beaucoup de gens ont attrapé des cancers à cause d’une mauvaise alimentation. Nous, Mastercooks, choisissons et jugeons les produits en connaissance de cause et sommes désireux de redonner aux gens l’envie de cuisiner. Avec des produits sains.”
Au cours de ces dernières années, le guide Michelin a été très parcimonieux dans la distribution d’étoiles aux restaurants belges.
Comment les chefs vivent-ils cette évolution ?
Christophe Hardiquest: “Nous sommes dans une période transitoire. Il est intéressant de constater que pas mal de chefs intéressants sont en train d’arriver tranquillement à leur maturité. Et plus on décroche d’étoiles, plus on gagne en maturité.”
“Belgische producten valoriseren is een van de kerntaken van de Mastercooks.”
Christophe Hardiquest
Peter Goossens: “Je suis d’accord avec Christophe. Il y a une nouvelle génération en devenir qui se forme pour l’instant.”
Christophe Hardiquest: “Le paysage de la restauration belge est très différent selon que l’on se situe au Nord ou au Sud du pays. Les chefs wallons sont très orientés vers la France alors que les chefs flamands sont plus forts en technique. Cette différence et ces spécificités constituent notre force. Le niveau de la cuisine belge reste très haut à une échelle internationale. Il y a pas mal de jeunes chefs qui cuisinent de manière épatante. A eux maintenant de développer leur propre style.”
Peter Goossens: “Pas seulement le style mais également une constance dans leur cuisine, ce qui est très important. ”
“Le respect du produit et de l’éleveur ou du cultivateur est à mes yeux le plus important.”
Peter Goossens
Ce qui sous emmène au point sensible de l’Horeca : la disponibilité de personnel qualifié.
Comment les chefs voient-il cette évolution ?
Peter Goossens : “Il est très difficile de trouver de bons éléments. C’est, pour l’heure, l’aspect le plus décourageant de notre métier. Les jeunes ont une autre vision du travail que celle que nous avions. Le monde a pas mal changé à cause de l’internet et des réseaux sociaux et les centres d’intérêt des jeunes ne sont plus les mêmes. En outre, il n’existe plus de loi d’établissement. Chacun peut ouvrir un restaurant. Mais si l’on veut exercer le métier de manière convenable, il faut une formation complète. Cela signifie qu’il faut maîtriser toutes les facettes du métier. Qu’on ne sait pas seulement cuisiner, mais que l’on sait également tout de la boulangerie, de la pâtisserie, de la charcuterie, du poisson… Certains imaginent qu’après six mois de formation ils peuvent devenir cuisinier et jouer au restaurant.”
Christophe Hardiquest : "Avec comme conséquence que beaucoup de maisons ouvrent mais ferment très rapidement. Parce que ses exploitants ne maîtrisent pas les compétences nécessaires. Et parce qu’ils ne voient que le cashflow, mais n’ont pas calculé l’assise financière globale nécessaire. Il leur manque également la notion du temps nécessaire à l’apprentissage. La jeune génération va souvent trop vite. Un restaurant, ce n’est pas seulement de la cuisine mais aussi de la gestion de personnel, des salaires, des fournisseurs, de la sécurité sociale et le payement d’impôts. En tant que Mastercooks, nous avons un rôle à jouer dans le repositionnement de notre métier. Pour mettre les choses en place sans pour autant ressasser les anciennes pratiques..."
Sang Hoon Degeimbre (L’Air du Temps) avait annoncé qu’il participerait également à cet entretien. Mais des changements dans l’organisation d’un voyage à l’étranger ne lui ont pas permis d’être là…