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Interview
‘Laisser moi encore flirter avec quelques sommets… »
Xavier Van Hecke est le bras droit de Seppe Nobels au Graanmarkt 13 et est un nouveau Young Master. C’est ainsi qu’aujourd’hui ils sont deux Young Masters à tourner dans les casseroles du restaurant anversois.
Quand avez-vous décidé de devenir cuisinier ?
Xavier Van Hecke: “Relativement tôt. Mon père était toujours occupé de manière intensive dans la cuisine et, en tant que petit garçon, il me laissait remuer dans les casseroles. Il m’a beaucoup appris et ce n’était pas innocent. Comme mes parents rentraient toujours tard à la maison, ils comptaient sur le fait que je cuisine pour la famille. J’avais alors 12 ans et je faisais des plats simple, style poulet au four avec de la compote de pommes. Et cela leur plaisait, ainsi qu’au reste de la famille. Grands-parents, oncles, tantes… Je pouvais aller cuisiner partout. J’ai rapidement voulu aller à l’école hôtelière mais mon père m’a retenu. Il trouvait que c’était un métier de chien. Mais après ma troisième année d’humanité il a cédé : d’abord trois ans à Spijker à Hoogstraten et puis un an au Piva d’Anvers. Après cela, j’ai tout de suite commencé à travailler au restaurant Matisse, toujours à Anvers. Là, j’ai été pris sous l’aile de Ivan Janssens. Celui-ci est devenu plus tard célèbre en tant que premier chef à avoir participé à l’émission télévisée ‘Mijn Restaurant’. Ivan fut mon véritable “mentor”. Chez lui, j’ai appris à travailler dur à très haut niveau. Ceci est resté vrai même lorsque j’ai déménagé avec lui pour le restaurant plus important Condacum, à Kontich, où il a poursuivi sa quête de qualité. Même s’il faisait 170 couverts, le dernier plat devait être parfait. Après le Condacum j’ai travaillé durant un an au Graanmarkt 13 et j’y ai assumé le lancement. Mais alors, Ivan m’a proposé de devenir son bras droit au Condacum et c’était une proposition qui ne se refuse pas. Ensuite, je suis devenu chef au restaurant Glens et j’ai encore travaillé dans différentes affaires comme Den Uil à Brasschaat, Villa Doria et Presence à Schoten et enfin comme associé au De Zoute Zoen à Anvers. Ceci jusqu’à ce que Seppe Nobels me fasse une proposition intéressante. Et voilà maintenant trois ans que je travaille au Graanmarkt 13.”
Comment s’est formée votre cuisine au fil de ces années ?
Xavier Van Hecke: “J’ai pris un peu du meilleur de partout où j’ai été. Également des nombreuses places de stage consécutives où je me suis retrouvé, comme les amusants petits croquants et la mayonnaise aux herbes de In de Wulf ainsi que les grosses pièces à rôtir de Guy Van Cauteren, sa fabuleuse béarnaise et ses grands classiques. J’ai également travaillé deux mois en France chez un chef de tradition. Il réalisait toutes ses préparations de légume dans une “glace”, un mélange de beurre et d’eau, et c’est quelque schose que je fais toujours aujourd’hui. Toutes ces cuisines m’ont formé et, maintenant, je suis ici et Seppe me laisse mon entière liberté. Je travaille au Graanmarkt 13 comme s’il s’agissait de ma propre affaire. Si deux petites tables ne sont pas occupées, j’éprouve une sorte de malaise. Comme Seppe est souvent très occupé, je peux choisir les fournisseurs, je m’occupe du personnel et je choisi les plats avec lui. Nous sommes devenus comme les doigts de la main.”
Est-ce qu’il a été difficile de passer à une cuisine où les légumes occupent la place la plus importante ?
Xavier Van Hecke: “Absolument pas. Les légumes sont beaucoup plus motivants. On peut appliquer aux légumes toutes les préparations de la viande et du poisson mais l’éventail est cent fois plus large encore. Prenez par exemple notre menu actuel au sein duquel nous travaillons les légumes racines. Il en existe des dizaines de variétés et il en arrive toujours de nouvelles, aussi bien des récentes que des anciennes qui reviennent au goût du jour. C’est une histoire qui ne connaît pas de fin… »
Est-ce que l’origine est importante ?
Xavier Van Hecke: “Oui. Nous achetons tous nos légumes chez “Ons Logisch Voedsel’ à Booischot, une jeune entreprise qui cultive de manière biologique et respectueuse de l’environnement. Nous suivons ce qu’ils récoltent de manière hebdomadaire et nous le travaillons dans nos plats. Plus lié aux saisons que cela est impossible… Nous ne nous occupons pas des légumes et des herbes qui arrivent sous nos cieux en avion. Nous les trouvons trop chers et surtout pas durables. ”
Voici que vous êtes ici au travail depuis maintenant trois ans, presque comme un véritable entrepreneur. Quel effet cela vous fait-il ?
Xavier Van Hecke: “Cela me va très bien. Nous sommes ici dans une belle affaire qui tourne très bien et ceci offre beaucoup de possibilités. Je ne dois pas me faire de souci lorsqu’une machine me lâche. Ou bien elle peut être réparée très vite ou nous en achetons une nouvelle. Je m’occupe de l’organisation de la cuisine et je règle tout, de manière à alléger le travail de Seppe. Et ce qui fait partie de cela est de jouer le rôle de psychologue et de médiateur pour le personnel.”
Qu’est-ce qui est le plus difficile ?
Xavier Van Hecke: “Rester constant. Comme nous tournons bien et que nous recevons énormément de commentaires positifs, nous nous devons de rester au top. Ceci implique de nous renouveler sans cesse et de continuer à faire grimper le niveau.”.
Qui conçoit les plats au Graanmarkt 13?
Xavier van Hecke: “Au début c’était essentiellement Seppe car il devait me faire comprendre sa cuisine. Le fil rouge de son menu consiste la plupart du temps en une préparation froide, un plat cuit au teppanyaki, quelque chose de grillé et quelque chose au four. Il doit toujours y avoir un élément croquant, un peu de moelleux, un beau corps et un peu de « swing ». Mais à la longue, j’ai bien compris la démarche et je développe mes propres préparations. ”
Quelle est votre touche personnelle par rapport à celle de Seppe ?
Xavier Van Hecke: “Seppe possède son style propre. A l’époque où il travaillait chez Wout Bru en Provence, il a hérité de beaucoup de textures et de saveurs agréables. Personnellement, je tire mon inspiration de la cuisine classique. Prenez par exemple ma version des roulades de chicons au jambon et au fromage au four. Je remplace le jambon par de fines tranches de potiron dans lesquelles je roule les chicons et, à la place de la béchamel, je réalise un espuma de béchamel sur lequel je saupoudre du fromage d’abbaye. Dans le troisième livre de cuisine du Graanmarkt 13 qui est en rédaction, nous allons nous tourner vers des préparations plus classiques. ”
Est-ce qu’il y a des collègues pour qui vous avez de la curiosité ?
Xavier Van Hecke: “Mon collègue Young Master Nicolas Wentein de Air Republic. Il est très fort dans la combinaison des épices, la confection des sauces et la perfection des cuissons. J’ai été une semaine en stage chez lui et j’ai surtout appris que j’employais trop peu de beurre. Le poisson, par exemple, doit nager dans le beurre selon Nicolas. Le turbot, il le couvre de beurre jusqu’en haut et le cuit ainsi dans le four à pizza. Je regrette que je n’aie jamais pu travailler chez Johan Segers, au Het Fornuis. Sa cuisine paraît si simple mais, à son goût, ses techniques et ses modes de préparation, on comprend quelle est l’étendue de ses connaissances.”
Comment votre cuisine a -t-elle évolué au cours de ces dernières années ?
Xavier Van Hecke: “Je suis devenu beaucoup plus créatif, sûrement à cause de la diversité de légumes que nous mettons en œuvre. Seppe m’a aussi fait découvrir énormément de combinaisons de saveurs. Un magnifique exemple est le céleri rave poêlé avec de l’anis étoilé, des baies de genévrier, des clous de girofle et du beurre noisette. Il s’agit vraiment d’une combinaison “terrible” !
Comment entrevoyez-vous votre propre avenir?
Xavier Van Hecke: “Je suis bien ici. Tous les samedi, 15 à 20 % des clients sont des connaissances à moi. C’est agréable. Posséder sa propre affaire constitue généralement l’étape suivante mais ceci n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour. Je ne dis pas qu’un jour, mais… Donnez-moi encore cinq ans. Je suis encore en phase d’apprentissage. Laissez-moi encore flirter avec quelques sommets.”
Comment avez-vous vu évoluer le secteur ?
Xavier Van Hecke: “La boîte noire a changé beaucoup de choses. J’ai bien dû me résoudre à comprendre que, pour le même travail, je gagnerais désormais moins. La gestion du personnel est aussi nettement plus règlementée aujourd’hui. Autrefois, les clients du midi restaient souvent à table jusqu’au service du soir. Mais ceci n’est plus payable. Nos collaborateurs travaillent sur base d’un contrat de 50 heures par semaine. Ceci signifie que nous devons les libérer dès 15h00. Nous devons doucement pousser les clients qui s’attardent vers la porte. Certains ne comprennent pas cela mais c’est la dure réalité. De la même manière qu’il est difficile d’expliquer à des jeunes qui sortent de l’école qu’ils ne vont gagner que 5,40 € net de l’heure. Mais ils viennent ici pour apprendre et cela, ils l’oublient vite. On remarque aussi un désintérêt pour la profession. Autrefois on était 25 par classe et aujourd’hui ce nombre s’est sérieusement réduit.”
Vous êtes aujourd’hui, tout comme Seppe, un Young Master. Qu’attendez-vous de ce groupe ?
Xavier Van Hecke: Beaucoup de mes attentes ont déjà été rencontrées, comme ma participation au Chef Summit à Malines, au cours duquel des chefs du monde entier étaient présents, ainsi que la démo que j’ai pu présenter sur Canal Z. Et en outre, il y a mes collègues Mastercooks. Il y a là tellement de vieux briscards desquels on peut tant apprendre.... Les Young Masters ne constituent pas seulement une joyeuse bande mais également un groupe avec beaucoup de potentiel et qui est porteur de l’avenir de notre gastronomie. J’ai beaucoup de chance de pouvoir en faire partie. ”