Willem Hiele
Interview
Je vais à l’essentiel. Ma cuisine, c’est A + B= Boum!
Le Young Master Willem Hiele est un enfant de la mer. Né à Ostende, passionné par la cuisine et le windsurf. Une force de la nature, pur et personnel. Après une jeunesse turbulente sur les bancs de l’école il devient apprenti chez un boulanger de Bredene. Il se lance dans son premier job dès le premier jour. Le pain, les couques au beurre, les sujets en chocolat : il apprend tout cela. Il part ensuite pour la boulangerie-pâtisserie Espeo, une véritable institution à Oostduinkerke. En cinq ans, il devient un pâtissier expérimenté. Avec l’argent qu’il gagne, il voyage en Afrique, à la recherche des plus belles vagues. Il y vit dans une camionnette et trouve sa nourriture dans la nature. De retour en Belgique, il trouve un boulot au port de plaisance d’Ostende. Son premier emploi dans un restaurant et le début de sa carrière de cuisinier. En tous les cas provisoirement, car l’aventure le démange. Une année et demi en plus, il voyage en Australie et en Nouvelle-Zélande et y travaille dans des fermes pour assurer son logis et son couvert. Entretemps, il cuisine pour lui-même sur base des ingrédients qu’il trouve sur son chemin. Le marin devient un homme d’extérieur expérimenté et un cuisinier créatif. A l’âge de 28 ans, il revient en Belgique. Son horloge biologique lui indique qu’il est temps de se fixer. C’est aussi à cette époque qu’il fait la connaissance de son épouse Shannah, lors de sorties à Ostende. Ils travaillent ensemble durant deux ans dans un restaurant avant de quitter celui-ci et de partir créer leur propre entreprise dans sa maison parentale, une ancienne habitation de pêcheur à Oostduinkerke.
Comment avez-vous débuté ici ?
Willem Hiele: “De manière très minimaliste, avec une table d’hôtes pour huit couverts, associée à une activité de traiteur. Calmement, afin de voir comment nous pouvions faire cela de manière indépendante. Et ça a marché. Nous avons pu croitre à notre rythme et c’est ce que nous faisons encore aujourd’hui. Nous sentons que nous avons énormément progressé. Nous travaillons maintenant avec une équipe de huit personnes super motivées qui se trouvent ici parfaitement à leur place et qui ont travaillé avant cela dans de beaux restaurants ou sur des bateaux. Je n’ai pas de roulement de personnel. Mes collaborateurs sont libres d’aller faire des stages ici et là. Je les y encourage. Comme j’ai des relations intéressantes avec des chefs étrangers, ils peuvent aller un partout et il m’arrive de les accompagner. Je suis très modeste dans ce domaine. Je suis en effet toujours en recherche et j’apprend toujours. Lorsque j’ai débuté ici, je n’avais encore jamais réalisé une sauce chaude digne de ce nom car, dans les restaurants où j’avais travaillé, j’étais pâtissier ou responsable de la partie froide. Mais, entretemps, j’ai énormément évolué.
Comment décririez-vous votre cuisine ?
Willem Hiele: “Mes plats sont très raffinés en goût. Ils comportent beaucoup de petites couches. Mais il n’y a jamais trop sur l’assiette, je vais à l’essentiel. Ma cuisine, c’est glace vanille, sauce chocolat (et chantilly): A + B = Boum! Nos plats sont souchés sur notre jardin. Cela signifie que nous travaillons également les légumes fermentés. A certains moments, le potager produit plus que ce dont nous avons besoin et c’est ainsi que nous produisons des conserves. Je pars du principe que l’on ne doit faire les choses que si elles sont nécessaires. C’est quelque chose qui m’a été inculqué dès le plus jeune âge. Ma mère n’achetait jamais des légumes au magasin. Elle n’utilisait que ceux qui provenaient du jardin. Il nous arrivait parfois de manger des choux durant trois mois, jusqu’à ne plus pouvoir. Lorsque nous nous plaignions, mon père disait : “Dans le temps, j’avais le choix entre une sorte de jambon et une sorte de fromage. Aujourd’hui, il y en a au moins dix de chaque. C’est de la sur-consommation !” Mes parents étaient des gens qui travaillaient dur pour entretenir leur famille. Je n’ai jamais manqué de quoi que ce soit dans ma jeunesse. Mais j’ai été éduqué de manière très minimaliste et cette mentalité est encore en moi.”
La maison dans laquelle votre restaurant est établi présente visiblement toute une histoire?
Willem Hiele: “Il s’agit d’une vieille maison de pêcheurs qui date de 1832. Huit générations de ma famille y ont vécu: quatre générations de la famille Vermote et ensuite quatre générations de la famille Hiele. Le dernier pêcheur dont je me souvienne était Ferdinand Hiele, le frère de mon grand-père. Il a navigué 39 ans d’affilée vers l’Islande, en période alternées de six mois. Et durant toutes ces traversées, il souffrait du mal de mer. Lorsqu’il était à la maison, il allait pécher des crevettes. Je me souviens des filets de traine qu’il mettait à sécher dans les peupliers. Dans la maison, se trouvait un poêle de Louvain sur lequel mijotait en permanence une casserole de soupe de poissons. C’est dans celle-ci que finissaient tous les surplus de pêche et les déchets de poisson. Je ne me souviens pas seulement de cette odeur de potage mais aussi de celle du café mélangée à celle des cigarettes Saint-Michel vert et du brandy bon-marché qu’il ajoutait le matin dans sa tasse. Le midi, il faisait cuire au beurre un véritable tas de petites solettes. Nous étions assis l’un à côté de l’autre et nous mangions la soupe de poisson, les solettes et du pain. Il s’agissait d’un moment un peu sacré et il l’est toujours. J’ai sublimé ces moments avec mon oncle à travers une préparation qui est devenue pour moi un véritable plat signature, basé sur une recette de ma grand-mère. Elle cuisait toujours les crevettes à peine sortie de la mer avec de la chicorée. Je le fais avec du café. Tous les lundi, les mercredi et les vendredi, je réalise une bisque sur base des crevettes vivantes que me livrent les pêcheurs à cheval. Le samedi, j’assemble le tout comme pour un hochepot. Comme pour celui-ci, le résultat est toujours meilleur le lendemain. Le résultat est une bisque de saveur intense mais pas trop corsée et bien équilibrée. Je la présente avec du café ainsi que du pain de seigle fraîchement cuit, avec du beurre que nous barattons nous-mêmes et des têtes de crevettes séchées. Les gens doivent déguster cela sans façons : ils étalent le beurre sur le pain, saupoudrent le résultat avec les crevettes et trempent le tout dans la soupe. Le mouillement du pain, la caramélisation de la croûte, le gras du beurre et la douceur des crevettes constituent un moment divin. Et toute l’histoire de ma jeunesse ressurgit. Il s’agit aussi d’un restaurant dans lequel le temps s’arrête. Dans la vie, les gens sont en permanence dans l’obligation de faire des choix. Ici, ce n’est pas le cas. La seule chose que je désire savoir, c’est s’ils veulent manger et boire beaucoup. C’est tout. je n’ai pas de carte. Notre offre consiste en seize préparations joliment variées. Il ne s’agit pas d’un menu avec différentes options mais bien d’une formule fixe : il s’agit soit d’une grande promenade en sept plats, soit d’une promenade plus courte en cinq étapes, soit d’un déjeuner en quatre étapes. Je cuisine sur deux feux à gaz et un four à gaz lui aussi. Je peux recevoir trente personnes. Mon restaurant ne me permet pas de dépasser ce chiffre. »
Vous vous sentez très attaché à cette région ?
Willem Hiele: “Oui, il s’agit de mon terroir. Et je revendique la chose. Nous avons construit un four à bois dans le jardin, un endroit où se trouve une marmite dans laquelle nous cuisons les crevettes. Ainsi, les pêcheurs à cheval peuvent déverser leurs prises directement dans la casserole. De cette manière, je peux utiliser le liquide de cuisson, qui autrement serait perdu, pour la confection de ma bisque. Les crevettes sont cuites par cinq à six kilos dans l’eau de mer qui, comme la saumure, contient 37 g de sel par litre. C’est ce liquide que j’utilise pour sublimer mon potage.”
Vous avez visité une belle partie de la planète. Cela vous a-t-il inspiré pour vos plats ?
Willem Hiele: “Assurément. Entre autres mes voyages en Indonésie m’ont influencé. J’y ai découvert des techniques pas ou peu connues chez nous et des préparations que j’applique personnellement à nos poissons de la mer du Nord. Je ne suis pas pour rien un « NorthSeaChef ». Le dashi, par exemple, ce bouillon japonais, est tellement pure et savoureux et accompagne parfaitement bien les préparations de poisson. Si l’on se contente de ne pratiquer que ce que l’on trouve à l’ombre de son propre clocher, on n’arrive pas à grand-chose. Je suis beaucoup trop curieux de la vie pour m’en contenter.”
D’où tirez-vous votre inspiration ?
Willem Hiele: “De mon jardin, de la nature qui m’entoure et des musées que j’ai visités. Je vais souvent voir ceux de Paris. Depuis Dunkerque ici tout près, le trajet ne représente que trois heures de train. Je suis fou d’art contemporain. Les artistes me donnent de l’inspiration pour mettre mes plats en forme. J’ai également beaucoup de respect pour la danse moderne. Comment tout concourt à former une œuvre. Lorsque la représentation est réussie, je suis toujours comme envouté.”
Entretemps, vous êtes devenu un Young Master. Qu’attendez-vous de cette adhésion ?
Willem Hiele: “Nous sommes collègues et rien que cela signifie quelque chose. Il est tout à fait possible que demain je me retrouve dans les embêtements, que je me casse une jambe ou qu’un membre du personnel me laisse tomber. Dans ce cas, je sais que je peux appeler un de mes collègues et qu’il viendra à mon aide. C’est cela la collégialité et tout tourne autour d’elle. Et, en plus, nous pouvons beaucoup apprendre les uns des autres. Il serait d’ailleurs également très intéressant de pouvoir échanger avec les générations plus anciennes de Mastercooks. Car, qui suis-je ? Je ne suis qu’un morveux qui ne cuisine que depuis sept ans. Je dis souvent à ma femme que je voudrais avoir déjà cinquante ans et savoir cuisiner. (Rires). J’ai ue bonne relation avec Marc Clement car j’ai eu la chance de voyager avec lui en Italie. Il s’agit d’un homme chaleureux, qui sait énormément de choses. Sa femme également. Ce sont des personnes qui ne souffrent pas d’un ego surdimensionné et j’apprécie beaucoup cela. Tout le monde n’a pas la même simplicité. Pourtant, nous ne faisons jamais que préparer à manger. Par ailleurs, un peu de « pollinisation croisée » ne nous ferait pas de mal. Il faudrait que nous nous motivions les uns les autres. Bien mettre la Belgique sur la carte du monde et nous montrer à l’extérieur de manière collective. Il suffit de voir Lode de Roover qui a décroché une huitième place au Bocuse d’or. Nous pouvons être fiers de ce qu’il a fait. Ce qe je voudrais également, c’est cuisiner ensemble avec mes collègues. Dès que ma cuisine d’extérieur sera terminée, je les inviterai. A cette occasion, je commanderai un turbot et quelques homards et chacun pourra cuisiner en freestyle.”
Si vous deviez un groupe de gens à votre table, qui en ferait partie ?
Willem Hiele: “Si possible que des femmes! (Rires). Jane Birkin à la première place. Quelle personne ! J’ai une grande photo d’elle dans mon restaurant. Je suis par ailleurs un fan absolu de Serge Gainsbourg. Je possède toute sa discographie. Plus sérieusement ? J’ai de la considération pour tout chef qui prend son métier au sérieux et l’exerce avec passion. Ainsi, on me compare souvent à Kobe Desramault. Mais nous sommes installés loin l’un de l’autre. Kobe a déjà accompli beaucoup de chose et, à travers son restaurant In de Wulf, il est allé plus loin que moi. Il a eu l’occasion de travailler avec une très belle équipe et a beaucoup appris des autres chefs. C’est ce qui est en train de m’arriver. Je reçois beaucoup de sollicitations de la part de jeunes étrangers, surtout depuis que je me suis retrouvé dans le top 100 de l’OAD. Kobe est plus mûr dans sa cuisine que moi. Mais nous éprouvons une bonne relation. Il s’intéresse à des choses qui me parlent également. Il pourrait donc sans problème faire partie du groupe évoqué plus haut. Tout comme mon collègue Sylvester Schatteman du Hofke van Bazel. Il s’agit de quelqu’un qui s’investit complètement en gardant les deux pieds sur terre et se trouve particulièrement bien à sa place. Mes parents, qui comptent beaucoup pour moi, pourraient également en faire partie. Tout comme Bart de Pauw, qui est un excellent ami. La manière dont celui-ci pense est particulièrement inspirante. Au même titre que le photographe Stefaan Vanfleeteren, à qui j’attribue une très forte personnalité. Tout comme son épouse qui travaille au sein des éditions Kannibaal. Et puis il y a Alan Roe, un professeur de l’Université d’Oxford qui, à l’âge de 75 ans, est la source de réflexion de nombreux chefs. Il a un jour poussé ma porte et a été particulièrement critique sur mes plats. C’est grâce à lui que j’ai commencé à travailler de manière plus simple et que j’ai appris à appris à supprimer le superflu. Il m’a également épaulé dans le projet de mon jardin. Je fais toujours dans mon pantalon quand il pointe son nez, car il ne s’arrête pas de commenter. Il a déjà été très fâché sur moi, mais c’est quelque chose que j’accepte de quelqu’un comme lui. Lui aussi aurait sa place à ma table d’honneur.”