Jan Buytaert Culinair bvba
Interview
Il a œuvré pendant quarante ans aux fourneaux de son restaurant le Bellefleur. On pourrait croire qu’après cela, il a décidé de jouir d’un repos bien mérité et de profiter pleinement des plaisirs de la vie. Mais ce serait méconnaître le bonhomme… La fin d’activité de son restaurant n’a en effet pas signifié pour lui une conclusion mais bien un nouveau départ. Il fait aujourd’hui partie de l’équipe à demeure des chefs de Njam, au sein de laquelle il conseille des projets Horeca et est également pleinement engagé au sein d’Horeca Formation Flandre. Aussi, lorsque le président Frank Fol lui a demandé de devenir le chef de file du groupe de travail “stages” des Maîtres Cuisiniers de Belgique, il n’a pas hésité un instant.
Vous avez été un des premiers Maîtres Cuisiniers flamand….
Jan Buytaert: “je fais en effet partie de ceux qui ont assisté à la naissances des Maîtres Cuisiniers de Belgique. A l’époque, les deux restaurants tri-étoilés belges qui faisaient l’orgueil de notre pays étaient tous les deux à Bruxelles. Or, j’étais un “ancien” de la Villa Lorraine. Et à l’époque, il faut se souvenir que lorsqu’on avait travaillé dans une maison, on faisait toujours encore un peu partie de l’équipe, même si, à l’époque, j’avais déjà ma propre affaire. Et comme les initiateurs du projet tenaient absolument à s’associer des chefs flamands...
Il faut bien dire que Pierre Romeyer a donné une impulsion énorme à l’Association. Après lui, celle-ci s’est un peu assoupie. Pas par manque d’enthousiasme mais bien parce qu’il est très difficile de rassembler les chefs. Ceux-ci sont en effet assez individualistes, travaillent très dur et ne disposaient à l’époque que de très peu de temps. Une situation qui n’a au demeurant pas fondamentalement changé, bien au contraire. Il n’est vraiment pas évident de réunir des cuisiniers.
Et l’arrivée à la pension vous a subitement libéré pas mal d’espace dans votre agenda!
Ceci est en effet très agréable mais je tiens tout de même à faire quelque chose d’utile de ce temps libre. Le secteur Horeca souffre de pas mal de problèmes mais, heureusement, il y a aujourd’hui beaucoup de nouvelles opportunités pour tenter d’apporter des solutions à ceux-ci. Une des pistes en lesquelles je crois le plus est l’organisation d’ateliers et de stages. D’un côté, nous bénéficions aujourd’hui de chefs fantastiques en Flandre et, de l’autre, d’un grand groupe d’opérateurs horeca jeunes et assoiffés de connaissance.
Je m’investis pleinement au sein d’Horeca Formation Flandre. Cet organisme met au point de nouvelles formes d’ateliers et de stages et opère de manière à ce que tout s’organise de manière parfaitement légale. Par exemple: un jeune sous-chef travaille dans un petit restaurant et souhaite compléter sa formation. Par lui-même, il lui est impossible de se libérer trois semaines. La solution est simple: via Horeca Formation Flandre, il lui est donné la possibilité de suivre des stages un jour par semaine. Autre cas: un certain nombre de chefs d’une même région qui désirent organiser à l’intention de leur personnel un atelier “nouvelles techniques de cuisine”.
En tant que chef “pensionné” (rires généreux…) je dispose aujourd’hui de suffisamment de temps pour servir de “go between”. Je suis consultant auprès de Horeca Formation Flandre et je suis l’interlocuteur des chefs. Un rôle que je me propose également volontiers de remplir pour les Maîtres Cuisiniers.
Opérons un petit retour dans le passé. Qui furent vos maîtres?
Mon premier maître fut Camille Lurkin, chef de la Villa Lorraine à l’époque où celle-ci décrocha se troisième étoile. Je travaillais dans ce restaurant à ce moment là. Ce fut un moment merveilleux. Le “chef” Lurkin était un bonhomme remarquable. Il venait de ce que l’on appelait à l’époque l’”Assistance publique” et était pratiquement analphabète. Il a commencé sa carrière à treize ans comme plongeur/éplucheur de pommes de terre et s’est hissé à la force du travail jusqu’au poste de chef de la Villa Lorraine. Après l’obtention de la troisième étoile, il est parti et s’est enfoncé dans une sombre spirale dont il n’a jamais su sortir.
Et puis, il y a eu Michel Guérard. J’ai travaillé deux ans dans son splendide restaurant à Eugénie-les-Bains, là aussi à la période où il a décroché sa troisième étoile. Je dois reconnaître que je n’ai pas grand chose à voir avec cette réussite (Rire)… Il ne faut pas perdre de vue que Michel Guérard est un des “pères fondateurs” de la “Nouvelle Cuisine”
En tant que jeune chef, j’étais devenu un peu allergique à la cuisine classique très lourde et la nouvelle cuisine apportait une véritable respiration à la gastronomie. Lorsque j’ai ouvert le Bellefleur avec Christine, le commentaire de mes pairs était que « Anvers n’était pas mûre pour ce type de cuisine innovante”. Après quelques mois, ils ont bien dû se rendre à l’évidence…
Comment voyez-vous évoluer la gastronomie?
L’épisode moléculaire, dans sa définition la plus restrictive, est passé. Il en reste une série d’héritages, de la même manière que la nouvelle cuisine a laissé les siens. De cette cuisine “scientifique” on retiendra pas mal de procédés et de techniques qui s’intégreront dans la cuisine.
La notion de “classique” est trop connotée mais il est évident que l’on se tourne à nouveau aujourd’hui vers une cuisine de produits. On doit reconnaître ceux-ci dans l’assiette, en évitant les montages trop sophistiqués. Ce que je trouve de très sain dans cette évolution, c’est que pas mal de tendances s’expriment en même temps. Certains travaillent de manière hyper-classique, d’autre optent pour la Fusion, d’autres encore poursuivent les recherche dans le moléculaire.
Un chef est aussi un entrepreneur!
Le calcul des coûts n’était pas le point fort des chefs de la plupart des chefs de ma génération. Les cuisiniers actuels sont nettement mieux préparésà ce genre de boulot. Aujourd’hui, la gestion est au cœur des préoccupations alors qu’à l’époque on se contentait de cuisiner convenablement.
Le chef est aussi devenu un personnage médiatique…
Une véritable vedette ! (Rire) Ceci a commencé avec nous. Nous n’étions plus simplement des chefs derrière leur piano mais bien de véritables personnalités. Ceci qu’on le veuille ou non. Toutefois, alors que nous pensions faire l’objet d’une attention toute particulière de la part des médias, ce n’était rien par rapport à ce que l’on voit aujourd’hui!
A l’histoire du Bellefleur, il y a quelqu’un qu’il est impensable de ne pas associer: Christine, votre épouse et…
Complice! (Rire). Dans un restaurant, avoir la chance de pouvoir compter auprès de soi sur quelqu’un en qui on a une confiance absolue est extrêmement important. Quelqu’un avec qui on peut partager les moments plus joyeux comme les plus tristes.
Au début, il était logique que je garde les rênes, car je connaissais le métier, pas elle. Par ailleurs, il y a aussi eu des moments où nous n’étions pas d’accords mais nous avons toujours mis un point d’honneur à ce que le personnel n’assiste pas à nos différends. Dans ce cas, nous nous enfermions dans le bureau et nous vidions notre sac.
Nous avons travaillé quarante ans à quelques mètres l’un de l’autre. Dans ces cas là, ou ça marche, ou ça casse! (Rire)
Et manifestement, cela a marché, car nous sommes toujours ensemble!