Zur Post
Interview
Éric Pankert : “Combiner le respect de la tradition avec l’innovation”
Au sein de la liste des Maîtres Cuisiniers, Éric Pankert, chef du Zur Post, à Saint-Vith, fait un peu figure d’exception. Il est en effet le seul chef germanophone de l’association. Germanophone sans doute mais pas moins belge pour autant car il pratique aussi couramment le français et le néerlandais. Une de ses autres caractéristiques est d’avoir marché sur les traces de son père.
Pourquoi êtes-vous devenu Maître Cuisinier ?
Eric Pankert : “Pour deux raisons. Mon père a toujours été Maître Cuisinier. Or, je trouve la tradition très importante. En outre, il se fait que je suis le seul Maître Cuisinier germanophone. Sans moi, la Communauté germanophone de Belgique ne serait pas représentée. Ce qui serait très dommage car la région de Saint-Vith n’est pas seulement belle mais elle a également beaucoup à offrir d’un point de vue gastronomique.”
L’Hôtel Zur Post est fort d’une longue histoire. Voilà très longtemps – depuis 1930 pour être précis – qu’il est dirigé par la famille Pankert. Il semblait donc dans la nature des choses que vous succédiez à votre père, un chef réputé qui avait décroché ses deux étoiles au Michelin.
“Suivre les cours d’une école hôtelière était pour moi une évidence mais cela ne signifiait pas que j’allais nécessairement reprendre le restaurant familial. Il est un fait que j’ai toujours eu l’intention de faire carrière et c’est ce que j’ai fait. Je tiens cela de mon père. Travailler dur et toujours vouloir s’améliorer. Ceci se trouve dans nos gènes.
S’améliorer signifiait pour moi, après que j’ai décroché mon diplôme, de partir travailler en Allemagne dans un restaurant tri-étoilé à Düsseldorf. Lorsque j’en suis parti, ils ont perdu leur troisième étoile, mais je ne crois pas que c’était à cause de moi… (Rires)
L’étape suivante vous a emmené à Gand ?
“J’ai travaillé un an chez le pâtissier Damme. Le vieux monsieur Damme était un personnage fantastique. Non seulement il m’a appris plein de choses mais c’est également quelqu’un que j’appréciais énormément d’un point de vue humain. Aujourd’hui encore il vient régulièrement manger chez nous. Il fait absolument partie de mes mentors.”
Le nom suivant qui figure sur la liste n’est pas des moindres…
“De Gand, j’ai pris la route pour Paris car j’avais la possibilité d’entrer dans les cuisines de Joël Robuchon. Il faisait partie des plus grands chefs du monde. Ensuite, je suis parti pour New-York, où j’ai travaillé au sein du restaurant “Les Célébrités” (Groupe Alain Ducasse).”
New York et les chefs. La “big Apple” a-t-elle été pour vous une ”life changing expérience” ?
“New York est une ville fantastique. Toutes les cultures y sont présentes et les Newyorkais adorent les combiner pour en faire quelque chose de nouveau. La ville est délicieusement cosmopolite. On peut y trouver des produits, des herbes, des épices venus des quatre coins de la planète.”
Cette reprise allait aller de pair avec un profond rafraîchissement de l’établissement…
“Nous nous sommes tout de suite attachés à revoir l’intérieur du restaurant. En 2005, nous avons rénové les chambres de l’hôtel et, ensuite, nous avons une nouvelle fois revu le restaurant. Aujourd’hui, nous pouvons vraiment dire que le Zur Poste est notre hôtel-restaurant.”
Où trouvez-vous l’inspiration pour la création de vos plats ?
“Dans mon expérience. L’essentiel est ce que j’ai appris de mon père, à savoir que c’est le goût qui doit primer sur tout. Ma première préoccupation n’est pas la décoration de l’assiette. Je sélectionne d’abord un bon morceau de viande ou de poisson et je regarde quels légumes et quelle sauce vont s’associer avec lui. A titre personnel, je ne suis pas un partisan des assiettes pleines de petits points et de petites poudres, une gouttelette de ceci par ci et une petite feuille de cela par là… Dans ce sens, je reste fidèle à la cuisine classique mais en y apportant ma propre touche. Ainsi, j’adore les épices et les herbes du monde entier.”
Vous avez des produits de prédilection ?
“L’automne et l’hiver sont bien entendu les plus belles périodes pour nous car on peut profiter du gibier. D’un point de vue commercial, c’est particulièrement intéressant car il y a des gens qui viennent de l’entièreté de la Belgique pour manger les produits de la chasse au Zur Post. Mais, en plus ; j’adore personnellement également aussi ce gibier. Il s’agit d’un produit naturel fabuleux que l’on peut magnifiquement travailler pour arriver à des résultats gastronomiques de haute volée.
Une de mes préoccupations principales est toujours la saison et, en outre, j’essaye autant que possible de travailler des produits locaux. Le seul problème est que notre région n’est pas particulièrement agricole. Nous nous procurons nos légumes courant auprès d’une ferme bio des environs. Il existe une différence de goût énorme entre une carotte bio et des carottes cultivées industriellement. Nous n’avons malheureusement pas de cultivateurs de légumes spéciaux à proximité, aussi je me les procure auprès de fournisseurs que je connais depuis des années et en qui j’ai pleine confiance. Ce dont nous bénéficions bien entendu, c’est de truites magnifiques. Un autre produit fabuleux à travailler.”
Quels furent vos plus grands moments de table ?
Mes plus beaux moments de table, entre 2020 et 2021 sont certainement les repas que j’ai pu faire au Bozar Restaurant, chez Karen Torosyan à Bruxelles. Et dans la région liégeoise, c’est un repas chez le Mastercook, Philippe Fauchet à Saint-Georges-sur-Meuse qui me laisse le meilleur souvenir.
Quel effet vous fait cette reconnaissance de 45 ans d’étoile pour le Zur Post ?
C’est une grande fierté de se voir classé n°2 en Belgique pour cet aspect de longévité étoilée alors que très peu de gens s’attendent à ce que le Zur Post soit placé aussi haut dans la liste. Ils pensent que rien ne se passe dans la région que l’on appelle encore souvent les cantons rédimés. Comme avant, cette région est encore un peu oubliée.
Dans le temps, on parlait toujours de Pierre Wynants, Claude Dupont, Freddy Vandecasserie, alors que je suis persuadé que mon papa faisait tout autant partie de la haute gastronomie belge. La différence c’est que mon père était situé en province et non à Bruxelles. Quarante-cinq ans cela fait deux générations et, pour ma part, je compte bien tenir pour arriver à 50 ans d’étoile !
Quant à mon papa, je ne vous cache pas qu’il est toujours là bon pied, bon œil. Il est d’ailleurs toujours le plus grand critique de mon travail. Il est très dur mais il en est aussi très content !