
Damien Audusseau
Candidat Mastercook 2020, Damien Audusseau est, depuis 2017, le chef exécutif du Traiteur Choux de Bruxelles. Bien que d’origines françaises, c’est en Belgique et à l’étranger aux côtés d’Yves Mattagne (Sea Grill**) que Damien a, durant dix-sept ans, brillamment poursuivi une carrière entamée à l’international le menant de sa France natale aux Etats-Unis et ensuite, avec Yves Mattagne, en Asie.
Aujourd’hui, il assure avec brio l’orchestration de cette notoire entreprise-traiteur installée à l’Arsenal d’Etterbeek (Bruxelles) qu’est Choux de Bruxelles. Au cœur de ce haut-lieu architectural post-militaire aux multiples espaces, ce nouveau membre des Mastercooks articule sa cuisine contemporaine autour du durable, du naturel (bio, local, healthy) et de la protection de l’environnement. Outre les différents restaurants de Choux de Bruxelles (Le Chalet Robinson, Le Mess, Enjoye, …), Damien Audusseau vient de coordonner l’un de événements majeurs de ce singulier été 2020 : Greenhouses by Idevent à Rhode-Saint-Genèse.
Comment êtes-vous devenu cuisinier ?
J’ai toujours eu la passion de la cuisine. Depuis que je suis tout petit, j’ai toujours dit que je voulais « faire cuisinier ». Bien entendu, comme tous les enfants j’aimais la nourriture que préparait ma maman, mais je n’ai pas eu l’exemple d’une telle profession chez mes parents ou dans ma famille. C’est plus exactement devenir pâtissier qui m’attirait. Quant à mon parcours, comme je suis français d’origine (Pays de Loire – Anger), je suis allé à l’Ecole Hôtelière de Saint-Nazaire. J’y ai suivi un cursus de quatre ans.
Quel a été votre parcours après l’Ecole Hôtelière ?
J’ai beaucoup voyagé pour aller travailler d’abord en Allemagne, chez un Maître Cuisinier. Puis, en Irlande dans un Relais et Châteaux, dans les Caraïbes à Sainte-Lucie et à nouveau en Irlande avant de m’installer à Londres où j’ai travaillé pour le plus ancien restaurant français de Londres, le restaurant étoilé Mon Plaisir. Enfin, arrivé en Belgique, j’ai rejoint Yves Mattagne au Sea Grill. J’y suis resté dix-sept ans. Mon travail consistait à l’accompagner dans ses consultances et à faire des ouvertures un peu aux quatre coins du monde. J’ai à nouveau beaucoup voyagé avec et pour Yves Mattagne en commençant par une première consultance aux Etats-Unis, au Péninsula de Chicago. J’y suis resté 9 mois jusqu’aux attentats du 11 septembre 2001. Ensuite, nous avons fait Singapour, Beijing, Shangaï, Hong-Kong, … et c’est de l’Asie que je garde les meilleurs souvenirs, surtout de Singapour ! Après ces dix-sept années à voyager, j’ai travaillé à l’Atelier d’Yves Mattagne pour son école de cuisine. Et lorsque l’Atelier d’Yves Mattagne a dû fermer, j’ai un peu travaillé chez le Traiteur Loriers (JML). C’est en 2017 que j’ai été rejoindre l’équipe de Choux de Bruxelles pour en être aujourd’hui encore le chef exécutif.
Que vous ont apporté tous ces voyages ?
Les voyages, c’est pour moi, quelque chose d’important au niveau humain. Cela représente les expériences de la vie et on croise des gens qui n’ont pas du tout le même parcours que soi. Ce n’est pas toujours facile mais c’est très enrichissant.
Pour en venir à l’Association The Mastercooks of Belgium, pourquoi êtes-vous entré dans l’Association ? Qui sont vos parrains ?
J’avais déjà rencontré Frank Fol lors d’un festival en Afrique du Sud. C’était en 2013. Il y a deux ou trois ans, Frank m’a proposé de rejoindre l’association mais j’ai pris un peu de temps pour me décider. Yves Mattagne et Christophe Hardiquest voulaient bien être mes parrains et c’est ainsi que cela s’est finalement fait.
Qu’espérez-vous qu’une telle adhésion vous apporte ? Quelles sont les valeurs que vous pensez pouvoir, quant à vous, lui apporter ?
Comme mes collègues, je sais que l’on a toujours le souci du produit, le respect des saisons. Nous sommes une grosse équipe donc, automatiquement, le sens de la transmission est aussi présent au sein d’un tel groupe. Ensuite, je trouve que rencontrer des pairs c’est plutôt enrichissant. Et j’apprécie le fait d’entendre d’autres expériences. Le fait d’être affilié à un groupe dans le même corps de métier est plutôt porteur. Toutes les expériences sont bonnes à prendre et dès que l’on a besoin d’un conseil on peut appeler un collègue qui nous aide toujours volontiers. Quant à mon apport, j’ai 49 ans, alors je pense que je peux être là aussi pour cette transmission aux plus jeunes.
Quel regard portez-vous sur l’alimentation d’aujourd’hui mais aussi sur celle qui sera ou devrait être la nôtre dès demain ?
Au sein de Choux de Bruxelles, on essaye de suivre les saisons, au jour le jour. La carte est composée de produits étant de la plus grande proximité possible. En cuisine, nous veillons à la réduction des protéines – que nous cuisons à basse température ce qui est plus pratique pour un traiteur. Et nous sommes passés de 220 g à 150 g sur l’assiette. Nous sommes aussi plus attentifs à la mise en valeur des légumes et à leur utilisation au maximum en vue du « zéro déchet ». Par exemple, un légume de saison comme le butternut est décliné de différentes façons : en chips, en mousseline ou encore braisé. Dans l’assiette, il me semble important de se recentrer sur un très bon légume et de l’équilibrer avec une petite part de protéines et une bonne sauce à la technique irréprochable. Nous cuisinons sans lactose avec plus de jus, de vinaigrettes ; des vinaigrettes à base de légumes.
En fait, je pense qu’avant, on passait trop de temps sur les découpes et moins sur les sauces. Les découpes c’est bien mais les robots d’aujourd’hui le font aussi bien que nous. Nous mettons donc un point d’honneur à faire de belles sauces. Pour les légumes, nous sommes plutôt sur une tendance mono-produit et on prend le temps de bien les cuisiner, de les « réfléchir ». Il nous faut mettre notre sensibilité dans l’assiette, apporter notre touche personnelle de cuisinier, même si c’est compliqué lorsque l’on cuisine pour un grand nombre de personnes.
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que les restaurants gastronomiques influencent davantage les gens que les traiteurs. La clientèle de grand banquet est moins réceptive que celle d’un restaurant gastronomique. Mais tout évolue et l’on voit désormais du maquereau servi sur une table qui est autant apprécié qu’un poisson noble et couteux. Il faut dire que, depuis quelques années, on voyait beaucoup ce nouvel équilibre de l’assiette dans les restaurants. Nous avons appliqué ce principe au service traiteur, cela nous a bien réussi.
Chez Choux de Bruxelles, on teste des choses et puis l’on est attentif au retour des clients. Nous avons commencé il y a deux ans et comme les commentaires sont très positifs, on continue dans cette voie-là !
Quel est votre opinion par rapport à la grande distribution, aux politiques, … ?
A mon niveau, je ne m’en occupe pas plus que ça. En tant que traiteurs nous avons un certain pouvoir vis-à-vis de nos fournisseurs car nous faisons du volume. On les bouscule pour avoir les meilleurs produits, qu’ils recherchent prioritairement des produits locaux et c’est déjà pas mal d’avoir ce pouvoir et d’être écouté et suivis. Pour la politique, les chefs étoilés s’en occupent car, là aussi, ils ont plus de pouvoir que nous.
Qu’en est-il de votre activité de traiteur en cette période singulière de crise sanitaire ?
Avec la crise du Coronavirus, nous sommes à 5 % de ce que nous faisions d’habitude. Comme tout le secteur, on attend de pouvoir relancer la machine. Seulement 10 % de l’équipe est présente. Mais nous restons positifs, cela nous permet de développer de nouveaux concepts qui nous donneraient d’autres possibilités d’exister dans ce secteur, de réfléchir à notre mode de fonctionnement. On imagine qu’il y aura plus de télétravail, de petites réunions. En fait, cela nous laisse le temps de réfléchir à ce que sera le métier de traiteur de demain.
Vous semblez optimiste, vous avez donc bon espoir ?
Oui, on estime, que pendant un an il va falloir baisser la tête. On ne s’attend pas à ce que ce soit réglé plus tôt. On attend avril 2021, au moins. Mais comme nous avons une clientèle assez variée dont 65 % en B to B et le reste en B to C, on devrait pouvoir tenir. Ce qui n’empêche qu’il nous faut réfléchir à l’avenir tout en restant ouverts pour rester visibles par rapport au secteur.
Chose que nous avons faite durant l’été avec l’événement Greenhouses. Cela a été porteur pour Choux de Bruxelles et l’équipe a ainsi bien été boostée. Greenhouses est le fruit d’une réflexion faite à partir des « Apéros urbains » et au final, ce projet a permis la transmission, l’évolution du métier durant cette singulière période de crise. Mai aussi de belles rencontres avec d’autres chefs emblématiques tels Christophe Hardiquest de Bon Bon ou encore Mallory Gabsi.
En pratique, au début seuls des traiteurs étaient prévus pour assurer une semaine à la fois. Vu le succès, nous avons fait appel à Mallory car on le connaissait déjà bien avant sa participation et son succès à Top Chef. Il est resté 4 semaines sur l’événement puis nous avons prévu une semaine avec un autre top chef qui n’était autre que Christophe Hardiquest.
Cela a toujours été intéressant à mon sens de s’associer à des chefs qui sont très connus comme avec Christophe Hardiquest au Stade Saint-Guidon à Anderlecht ou encore, cet été, à Greenhouses. Avec le designer Charles Kaisin, ils clôturent l’événement, ce qui est très intéressant pour tout le monde.
Question plus personnelle encore, avez-vous un maître à « penser/cuisiner » et/ou un chef que vous admirez ?
J’ai travaillé aux côtés d’Yves Mattagne pendant dix-sept ans ce qui m’a automatiquement influencé. Mais j’apprécie beaucoup la personne qu’il est et nous nous entendons toujours très bien. Dès lors, je pense pouvoir dire que mes bases sont plutôt « mattagnisées » !
Quelles sont vos sources d’inspiration ?
Je suis attentif à ce qui se passe autour de moi comme lorsque je me balade en forêt, ou que je vais découvrir des expositions. Mon inspiration n’est pas étrangère au domaine de la culture. J’ai d’ailleurs un très bon souvenir du voyage en Chine qu’avec Yves Mattagne nous avons fait pour la famille Ullens qui y ouvrait un Musée d’art contemporain à Pékin. C’était mon premier vrai contact avec l’art contemporain. Je ne comprenais pas tout, mais cela m’interpellait. Ce voyage a été un déclencheur pour moi et depuis je m’intéresse davantage à l’art et à la culture.
Quel est le produit que vous préférez cuisiner ?
Le poisson, les premières Saint-Jacques en début de saison. Mais après, très rapidement, j’aime passer à autre chose avec toujours en priorité un légume, un fruit de saison, …
Que ne mangeriez-vous jamais ? Mais, à contrario, vous vous damneriez ou feriez des kilomètres pour … ?
Le lait de coco ! Je n’aime pas du tout cela ! Par contre, j’aimerais beaucoup aller à L’Oustau de Baumanière aux Baux-de-Provence ! Et puis, j’adore l’ambiance des marchés en France, les produits de la mer, la Bretagne …
Quel est votre style de cuisine préféré : gastronomique français classique, bistrot, brasserie, étrangère ?
Ça dépend des moments, j’aime toujours beaucoup un très bon spaghetti bolognaise. Je serais plus bistronomique que gastronomique. J’aime aussi être en famille ou avec des amis et les plats traditionnels à partager.
Un projet, une idée, des perspectives d’avenir ... ici ou ailleurs ?
Vu la situation actuelle, je dirais que je suis plutôt en attente que ça passe. Mais, au sein de Choux de Bruxelles, on essaye toujours de développer et puis comme nous avons plusieurs restaurants, il y a toujours du pain sur la planche et de quoi réfléchir pour améliorer les choses.
Interview : Joëlle Rochette