Chez Bernard Restaurante
Interview
Depuis mai 2015, Laurent Rezette est l’un des 24 nouveaux candidats Maîtres Cuisiniers de Belgique. Francophone formé à l’Ecole Hôtelière de Namur, il n’en présente pas moins un parcours et un profil atypiques puisque c’est au Brésil qu’il s’en est allé porter, non pas la bonne parole (encore que …), mais plutôt son savoir-faire et quelques-uns des meilleurs produits belges.
Une rencontre qui, grâce aux technologies actuelles (skype en particulier) nous a permis de découvrir notre nouvel ambassadeur au sein d’un pays que l’on savait déjà haut en couleurs et que l’on découvre tout aussi haut en saveurs. Bonne humeur contagieuse à la clef et joli projet d’ouverture prochaine (juin) de sa nouvelle enseigne à Salvador de Bahia, Laurent Rezette est intarissable quand il s’agit d’évoquer sa double passion pour la cuisine comme pour son pays d’adoption qu’est le Brésil.
Né à Carlsbourg (Province de Luxembourg) en 74, vous avez débuté votre carrière de façon tout à fait classique pour quelqu’un qui désormais œuvre si loin de son pays natal. Quel a été votre formation ?
Au départ, je ne pensais pas spécialement devenir cuisinier. Je suis entrée à l’Ecole des cadets, dans l’armée de l’air. J’avais besoin du côté strict et encadré de ce genre de formation. Je connaissais cependant un élève de l’Ecole Hôtelière de Namur. Une école qui apportait aussi le même type d’encadrement avec une discipline similaire, le port obligatoire d’un uniforme et les mêmes termes parfois comme celui de « brigade ». L’énergie nécessaire et la détermination pour atteindre ses objectifs était aussi des similitudes qui me plaisaient ; j’ai donc bifurqué et suis entré à l’Ecole Hôtelière.
A travers les stages et après l’Ecole Hôtelière de Namur, vous complétez votre formation à Bruxelles et en Wallonie. Dans quelles maisons précisément ?
Je suis effectivement passé par le Château de Limelette (Brabant Wallon), au restaurant Le Saint-Jean des Bois, où le chef Stéphane Bacquet m’a pris sous son aile et m’a appris à travailler avec rigueur pour de grands banquets privés, des » incentives » et parfois même m’a aidé à fonctionner dans une ambiance compétitive. Cela était très boostant pour moi. Ensuite, il m’a aussi motivé à me présenter à la Villa Lorraine qui avait alors 2 étoiles. Je suis resté là durant une année et j’avoue que l’ambiance, avec le chef Freddy Vandecasserie aux commandes, y était bien plus stricte encore ! C’était assez formateur et c’est ainsi que l’on apprend au mieux ce métier. Plus tard, j’ai travaillé, toujours à Bruxelles, à l’Hôtel Léopold au Salon des Anges, chez le traiteur Félix, à l’Hôtel Bristol Stéphanie où, malgré mon jeune âge, je me suis retrouvé chef exécutif du restaurant et de tout l’hôtel. Ceci a représenté pour moi une autre excellente école. Enfin, j’avoue avoir aussi eu la grande chance de pouvoir travailler avec Monsieur Michel Libotte qui, à l’époque et pendant longtemps, avait le restaurant étoilé du Gastronome à Paliseul, à nouveau dans la Province de Luxembourg.
Les escapades vers des contrées lointaines vous tentent alors de plus en plus. Quel a été le détonateur pour vous faire quitter la Belgique ?
Beaucoup d’amis partaient pour aller travailler sur des bateaux de croisière. J’ai aussi cherché à suivre cette voie mais ce n’est pas sur un bateau mais bien au Brésil que je me suis retrouvé à travailler par ce que j’appellerais des « aventuriers ». Deux belges installés là-bas mais qui étaient trop fantaisistes pour que je poursuive sérieusement toute collaboration.
Fort heureusement, un mois plus tard, j’ai rencontré le directeur de la chaîne hôtelière Accord et j’ai alors travaillé pour lui au Sofitel. J’ai ensuite rencontré le chef Alex Atala dont le célèbre restaurant DOM a récolté de très nombreuses reconnaissances et est considéré comme le meilleur restaurant d’Amérique du Sud. C’est lui qui m’a bien aidé à entrer dans le monde de la jet set Salvadorienne. Là où j’ai connu les personnes les plus influentes mais aussi les mieux nanties et dès lors susceptibles de devenir non seulement des clients mais aussi des financiers de nouveaux projets. Il faut dire qu’à l’époque, il n’y avait pas de bonne gastronomie dans cette ville de Salvador de Bahia, où je réside avec ma femme brésilienne (qui est l’une des cinq chanteuses les plus connues du pays !) et donc il y avait toute la place pour créer une enseigne digne de ce type de cuisine.
Au Brésil, une fois que vous avez le pied à l’étrier, que vous avez les bons contacts et surtout la bonne dynamique pour fournir un travail de qualité, les choses se font facilement.
De quoi est faite votre cuisine au Brésil, quelles sont ses particularités ?
Je propose une cuisine très personnelle basée sur ma formation technique en Belgique mais avec les nombreux produits locaux que l’on trouve ici. Les techniques sont celles, notamment, de la préparation du bavarois, de la glace, des sauces moins connues ici et qui enchantent les clients. Par contre en matière de produits, si ce n’est les poireaux, les pommes de terre, les truffes ou entre autres produits typiquement européens, le foie gras du Perigord, par exemple, tout se trouve au Brésil. C’est incroyable de découvrir tous ces produits tropicaux que l’on ne voie pas en Belgique. Il y a 500 sortes de manioc, des fruits très diversifiés dont on n’a même pas connaissance en Europe. J’ai d’ailleurs rencontré un ingénieur agronome qui n’a pas moins de 200 sortes de fruits dans son jardin ! C’est donc très agréable d’être cuisinier, et curieux de tout, ici. Ceci dit, tout autre produit gastronomique de luxe peut aussi nous parvenir d’Europe, il suffit d’y mettre le prix !
Vous voilà entré dans l’Association des Maîtres Cuisiniers de Belgique et en êtes devenu l’Ambassadeur en Amérique du Sud. Qu’attendez-vous et/ou qu’apporterez-vous à l’Association ?
Je trouve que la Belgique, même vue de loin, se bouge pas mal pour le moment dans le secteur culinaire. Il y a une fameuse dynamique qui est lancée à travers des associations telles que celle-ci qui ont à cœur d’initier des projets très innovants, ce qui me plaît énormément. Je n’attends cependant pas une reconnaissance professionnelle mais plutôt une certaine crédibilité qui m’aidera à monter des projets au Brésil dans le futur. J’aimerais entamer des missions axées sur les secteurs gastronomique et culturel. Ainsi nous pourrons mieux encore et différemment qu’à travers les réseaux sociaux, développer des valeurs communes, faire découvrir des producteurs locaux d’un côté comme de l’autre. C’est aussi, je pense, une autre façon de construire des ponts entre mon pays d’origine et cette terre d’adoption, entre nos cuisines et notre profession ; il ne nous restera plus qu’à les traverser !
Quels sont vos projets imminents ?
Bien que je sois belge, je suis très bien intégré au Brésil. J’ai une émission radio qui m’apporte beaucoup de médiatisation et qui me donne énormément d’énergie. Cela me permettra aussi de développer des programmes d’échanges toujours dédiés à la gastronomie. Je trouve que c’est une bonne façon de promotionner les produits belges, notre savoir-faire et qu’il faut continuer en ce sens ; ce que j’aurai beaucoup de plaisir à faire d’autant plus que l’Association des Maîtres Cuisiniers est à mes côtés.
Enfin, pour ce qui est de l’actualité, j’ai la chance de pouvoir ouvrir, en juin, le restaurant gastronomique d’un nouvel hôtel de haut standing qui vient d’être construit à 30 mètres de l’une des plus belles plages du pays, la plage d’Itapuà.
Et là, il ne me restera plus qu’à organiser des échanges avec mes collègues belges ce qui, je pense, ne devrait pas être d’une trop grande difficulté ! Alors, le Brésil pour vous, c’est quand vous voulez à Salvador de Bahia !
Texte interview : Joëlle Rochette – Traduction : Marc Declercq